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Films

Critique

«Le Comte de Monte-Cristo»: la France récupère son patrimoine6 minutes de lecture

par Jocelyn Daloz
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Le roman d’Alexandre Dumas est mis à l’honneur dans ce film d’époque spectaculaire, qui sait allier le meilleur de deux mondes: la beauté de la langue française et la maîtrise visuelle d’Hollywood.

La culture française souffre souvent sous la caméra des studios californiens. Il suffit, pour s’en persuader, de voir les adaptations américaines des grands classiques de la littérature hexagonale: obsédé par ses propres poncifs et d’abord préoccupé par son marché intérieur, Hollywood transforme généralement toute création non anglo-saxonne en un manifeste recyclant les genres du cinéma américain ou traitant des sujets caractéristiques de la société des Etats-Unis. Cela ne signifie pas nécessairement que les films en deviennent mauvais, mais force est de constater leur uniformisation et la distanciation d’avec l’œuvre ou la culture d’origine.

Cela est particulièrement flagrant avec l’œuvre d’Alexandre Dumas. Les adaptations récentes de la saga des Trois Mousquetaires par Hollywood montrent tout le dédain que les studios américains ont pour la culture française: le hideux The Three Musketeers (2011) bascule dans l’absurde lorsque le duc de Buckingham attaque la France avec des bateaux volants et des zeppelins, tandis que la plus sympathique, mais naïve version Disney des Trois Mousquetaires de 1993 caricaturait tous les personnages à l’extrême: D’Artagnan intrépide et candide, Porthos fidèle et très bête, le cardinal Richelieu très, très méchant, pendant que l’histoire était simplifiée au possible. Et ne parlons pas du ridicule Masque de Fer (1998)… Le paysage historique français et l’œuvre de Dumas ne servent dans ces trois films que de toile de fond exotique pour un public américain formidablement ignorant de l’histoire européenne.

On ne peut donc que se réjouir de voir le cinéma français se réapproprier ces classiques, tout en empruntant à Hollywood ce que Hollywood fait de mieux: des effets visuels éclatants. Les deux volets des Trois Mousquetaires de Martin Bourboulon souffrent certes de défauts certains, mais ont eu le courage de proposer une esthétique moderne sur le roman de cape et d’épée, mâtinée d’une écriture reprenant parfois verbatim les dialogues de l’œuvre romanesque. Le film n’a pas fait l’économie du contexte géopolitique dans lequel sont plongés ses protagonistes, et mêle les aventures d’Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan à la Grande Histoire, ce qui est la marque de fabrique d’Alexandre Dumas.

Fidèle à la lettre et l’esprit

Le nouveau Comte de Monte-Cristo d’Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte réussit avec encore plus de brio à capturer l’essence de l’œuvre dumasienne par une photographie soignée et un jeu d’acteurs impeccable. Pierre Niney s’est par chance débarrassé de ses grimaces comiques ridicules de Fiasco pour camper un protagoniste glaçant de froideur, dont l’émotion transparaît en de rares instants de faiblesse. Le film suit en grande partie le déroulement du roman: les jalousies que suscite le jeune second Edmond Dantès, promis à une grande carrière maritime et à un mariage heureux avec la belle Mercedes. La première partie décrit la machination visant à l’accuser d’être un espion napoléonien, son emprisonnement au château d’If et ses quinze ans de captivité terrifiante dans les geôles de l’île-prison. Il y rencontre l’érudit abbé Faria (Pierfrancesco Favino), qui l’instruit en toutes choses. Après la mort de l’abbé, Dantès parvient à s’échapper et trouve l’île de Monte-Cristo sur les indications de Faria. Il se servira alors du formidable trésor amassé par les Templiers pour orchestrer sa vengeance, en détruisant méthodiquement la vie que ses ennemis ont construite sur son dos.

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En effet, Fernand de Morcerf (Bastien Bouillon) s’est marié avec Mercedes (Anaïs Demoustier), le capitaine Danglars (Patrick Mille), débarrassé de son rival, devient un banquier et armateur prospère et le procureur Villefort (Laurent Lafitte) monte dans l’administration de la royauté restaurée grâce au coup d’éclat de l’arrestation de Dantès, fidèle supposé de l’empereur déchu.

Les quelques modifications à l’œuvre de Dumas sont aisément compréhensibles, puisqu’il fallait bien comprimer près de 2000 pages de récit en trois heures de cinéma. Les réalisateurs réussissent toutefois à évoquer les grands voyages que Monte-Cristo effectue avant son retour à Paris, notamment par le mysticisme orientaliste dans lequel il s’entoure et le décor de son somptueux palais. Les machinations de Monte-Cristo sont quelque peu simplifiées, mais ne sont pas moins jouissives à suivre tant on aspire à voir tomber les vils personnages qui rivalisent de bassesse et de fourberie.

Entre justice et vengeance

Par ailleurs, au-delà du récit, le film esquisse élégamment la complexité morale de l’œuvre dumasienne, notamment en imaginant l’amour naître entre le fils de Morcerf et de Mercedes, Albert (Vassili Schneider), avec la jeune Haydée (Anamaria Vartolomei). Elle est l’orpheline du pacha de Janina, dont le père est mort après une trahison vile de Fernand de Morcerf. Dantès se sert d’elle et de son charme envoûtant pour se venger de Morcerf: elle doit séduire Albert et le briser. Leur amour résiste toutefois à la haine et leur innocence apporte une touche de sensibilité, qui contraste avec la froideur de Monte-Cristo et la fatuité de ses ennemis; ils serviront aussi de compas moral au comte, par-là même confronté à une question fondamentale: est-il le prolongement armé de la justice de Dieu ou exerce-t-il simplement sa vendetta personnelle? Combien d’innocents devront souffrir de ses actes?

La mise en scène est classique mais efficace, renonçant à des artifices stylistiques trop appuyés pour se concentrer sur la narration. Celle-ci est portée par des dialogues écrits avec finesse. On prend un vrai plaisir à entendre cette langue bien écrite et prononcée, tant on a l’habitude de certains films français dans lesquels les acteurs parlent dans leur barbe ou semblent avoir perdu la faculté d’articuler.

L’ensemble ne révolutionne pas le cinéma ni ne propose de vision complètement novatrice du roman de Dumas. En revanche, il en est une solide adaptation, fidèle au scénario, aux grands thèmes et au ton de l’œuvre. On est tenus en haleine jusqu’au bout des trois heures du film, appréciant la beauté du spectacle. Reste à espérer que le film trouve son public.

Ecrire à l’auteur: jocelyn.daloz@leregardlibre.com

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Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière
Le Compte de Monte-Cristo

Avec Pierre Niney, Bastien Bouillon et Anaïs Demoustier
Juin 2024
178 minutes

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