Révélé en mai à Cannes à la Quinzaine, Les Cinq Diables porte le nom du centre de sports qui sert de point central à ses péripéties temporelles tortueuses. Un film qui aborde la liberté sexuelle et le mystère de l’existence sous l’angle d’un voyeurisme particulier. A voir.
Joanne (Adèle Exarchopoulos) n’est pas ce qu’on pourrait appeler une mère aimante. Le contraire même de l’admiration, voire la vénération, que lui porte en retour sa fille Vicky. Un sentiment tel que, parmi la collection d’odeurs confectionnées par Vicky dans des bocaux, celles de Joanne ont une place particulière. Oui, car Vicky a un odorat très développé, et sans doute aussi un sixième sens un peu étrange. En ouvrant un des bocaux où elle reproduit l’odeur des choses et des gens, elle est capable d’assister à des événements passés. Un don qui donnera naissance à des révélations aussi cruciales que cruelles sur ses parents et sa tante Julia (Swala Emati), alcoolique et désespérée, qui est justement venue habiter chez eux pour quelque temps.
L’histoire se déploie dans une ambiance glauque du début à la fin. Un univers bizarre et incertain duquel se dégage beaucoup de tristesse, qui n’a d’égal que la météo maussade de la vallée d’Isère où se déroule le film. Si la campagne aboie dans les chansons de Paolo Conte, la province pleure dans cette œuvre magistrale de finesse signée Léa Mysius. La réalisatrice et scénariste qui a travaillé sur Les Fantômes d’Ismaël ou Roubaix, une lumière confirme d’ailleurs qu’elle a voulu ancrer Les Cinq Diables dans ce petit village de montagne en particulier. «J’aime filmer la France comme on ne la voit pas beaucoup au cinéma», déclare-t-elle. Un décor idéal pour un long-métrage d’une densité insoupçonnée, mêlant l’intime au social et la pudeur à l’horreur.
Tout ne tient à rien
Au-delà d’un jeu d’acteur maîtrisé à la perfection, chaque élément scénaristique est amené subtilement et concourt en une cohérence que l’on ne comprend qu’à la fin. Une des scènes clés de l’intrigue a valeur de symbole: quand Joanne, en voiture, manque de justesse de renverser sa fille qui traverse la rue en courant, cela annonce le questionnement existentiel de cette dernière. L’action sans paroles anticipe en quelque sorte les dialogues: «Est-ce que tu m’aimais avant que j’existe?», demandera Vicky à sa mère. «Si tu n’avais pas épousé maman, est-ce que j’existerais?», lancera-t-elle, bouleversante, à son père, quelques séquences plus loin. Si le vide qui vient après la mort est une hypothèse révoltante, pourquoi le vide qui précède la naissance ne le serait-il pas?
Ce que découvre Vicky dans le film est une réalité qui nous a tous une fois plus ou moins travaillés: tant de choses dans la vie ne tiennent à pas grand-chose. Sans dévoiler la nature des souvenirs auxquels a pu avoir accès Vicky, disons qu’ils montrent l’incroyable et fragile effet papillon qui survient entre les choix d’individus à un instant T et l’arrivée d’un nouvel individu sur Terre plus tard. Si telle personne n’avait pas fait ou dit cela, telle autre ne serait pas là aujourd’hui pour y réfléchir. De même, nos agissements actuels sont non seulement des souvenirs en puissance, mais pourront être jugés à l’avenir par des personnes pas encore nées, sortes de fantômes inversés. L’affaire à quelque chose de glaçant. Le film nous le rend bien en nous embarquant directement dans les flammes.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
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