Le Regard Libre N° 22 – Loris S. Musumeci
La plus banale des tragédies amoureuses est ici présentée dans la première partie de Mal de pierres. Pourtant, face à ce chef-d’œuvre de Nicole Garcia, présenté actuellement au cinématographe, on ne reste pas indifférent. On ne le visionne pas comme un simple bon film pour lequel on versera, au mieux, quelques larmes à la fin de la séance. La sélection des acteurs, l’impeccable et libre esthétique de la prise d’images ainsi que les primordiaux détails de fond qui trouvent un sens à l’amour, font de ce métrage de l’existence une excellente réussite.
Les genoux de Gabrielle sont cloués à la banquette de la chapelle, ses yeux coulent et ses mains s’étouffent dans la prière, lorsqu’elle demande au Christ encore souffrant, du haut de sa misérable croix: «Donnez-moi la chose principale ou laissez-moi mourir.»
Elle est amoureuse de son professeur, passionnément. Ce dernier ne veut pas d’elle. Que peut une pauvre jeune fille au sein d’une déception sans issue? Que peut-elle, de plus, alors qu’elle est soumise à ses parents dans une France provençale des années cinquante? Rien. Elle se révolte néanmoins. On la prend pour une folle; elle est malade. Il faut la marier ou l’interner. Elle est donc littéralement épousée à un jeune ouvrier espagnol du père. Gabrielle se résigne, accepte tout en refusant chaque chose qui l’entoure.
L’internement arrivera, pour un mal de pierres: des calculs rénaux qui empêchent le nouveau couple d’enfanter. A l’endroit de la cure, en Suisse, apparaît Monsieur Sauvage, un bellâtre noiraud blessé à la guerre d’Indochine. Il sera la seconde passion de Gabrielle, celle qui occupe la plus grande partie du film. Entre illusions, désir sexuel, joie et amertume de vie, le drame se charge de continuer l’histoire à sa manière.
Marion Cotillard, interprétant la protagoniste principale, à savoir la jeune Gabrielle, donne chair à son personnage avec charme, certes, mais aussi avec innocence, érotisme, angoisse, douceur et sauvagerie. Elle tire un héritage de Madame Bovary et de sainte Thérèse de Lisieux. Louis Garrel, dans la peau de Monsieur Sauvage, joue avec son apparence. Il est calme et cultivé, sombre et catholique, droit et sublime. Alex Brendemühl a le rôle le plus difficile; celui de l’espagnol oublié dont on s’est servi pour trouver un mari à Gabrielle. Il est l’homme de l’histoire en gardien de l’amour. Un amour qui souffre, pleure, boit et se tait, mais demeure; j’ai nommé le véritable amour.
Chaque image met en valeur ces acteurs parce qu’elle est signifiante. La richesse du contenu est due aussi et surtout à l’italienne Milena Angus dont le roman homonyme a inspiré la réalisation de Mal de pierres. En fait, ce qui donne sans doute au film tout entier une mystique réaliste et envoûtante, c’est l’humanité dénudée offerte par ses histoires de vies ordinaires et uniques. Une jeune femme rêvant de «la chose principale», un soldat nostalgique de la guerre, un ouvrier en quête de sens et de pain.
Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com
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