Le Netflix & chill du samedi – Loris S. Musumeci
La nouvelle série Netflix, Freud, remporte autant de succès que de blâmes. Le succès vient des chiffres: depuis sa sortie en mars dernier, la série reste dans le Top 10 du plus haut taux de spectateurs. Les blâmes viennent de l’accueil critique: production à la frontière du guignol qui d’une part n’enseigne rien de la psychanalyse, qui d’autre part dépeint un Sigmund à mille lieux de la figure très – sans doute trop – idolâtrée des milieux intellectuels. Succès et blâme vont de pair, tout en cohérence. L’un et l’autre s’expliquent légitiment. Regard.
Huit épisodes pour une première saison qui surprennent aussi positivement que négativement. Négatif parce que biographique. Positif parce que fictif. Merci docteur… on s’explique: ce qui a été mal perçu, et pas franchement apprécié, c’est la liberté entreprise dans le portrait de Freud. Néanmoins, biopic oblige, la réalisation s’est sentie poussée de trahir, sans trahir totalement. Quand on regarde une série qui s’appelle «Freud», qu’est-ce qu’on veut? On veut de l’analyse des rêves, du complexe d’Œdipe, du cigare à suçoter – en faisant le lien auquel on songe –, des allusions sexuelles à tout bout de champ et tout le tralala.
Problème: la réalisation qui pense davantage à son travail de fiction qu’à son travail de mémoire, et ce n’est pas forcément un mal, laisse avancer la trame à son bon plaisir jusqu’au moment où elle se souvient que la série en question s’appelle quand même «Freud». Alors, l’histoire passant du coq à l’âne, tel personnage se voit contraint de devoir avouer en pleine crise d’hystérie que «je crois que je veux tuer mon père et coucher avec mère!» Larmes dans l’assemblée qui assiste à l’aveu, rires face à l’écran. Non, désolé, mais c’est ridicule. Et chacun des huit épisodes compte ses sorties du genre.
Positif parce que fictif, oui. Parce que bien construit malgré le fond grotesque biographique. Parce qu’avec l’excuse du biopic, on a affaire en fait à thriller et policier et psychologique. Suspense, enquête, secrets, non-dits, pulsions, violence, folie. Histoires de familles, d’affrontements, de politique. La Vienne de la fin XIXe, co-capitale avec Budapest d’un Empire austro-hongrois dont on comprend qu’il tient plus de l’austro que du hongrois, du moins pour ce qui est relatif au pouvoir. François-Joseph Ier, empereur d’Autriche, prit soin de sucrer en privilèges la noblesse hongroise lorsque l’union des deux monarchies fut signée en 1867, mais là encore ladite union ressemble davantage à une annexion. Cette tension austro-hongroise, très présente dans la série, lui fournit un fond politico-passionnel qui parvient à capter l’attention, à intéresser, à intriguer.
L’élément le plus fictif, celui qui réussit le mieux dans la mise en scène et qui a fait hurler les freudiens, c’est l’ésotérisme. Des séquences un peu farfelues, il y en a. Qui ennuient un peu, aussi. Mais la majorité des scènes d’ésotérisme, et elles occupent une place majeure dans les huit épisodes, méritent les yeux rivés du spectateurs sur l’écran. Elles se forgent dans la mise en place d’un suspense si ce n’est excellent, en tout cas très fort. La mise en scène, qui voit des corps trempés de sang hurler, des viols sataniques à la Rosemary’s Baby, des démons posséder des âmes, des cadres de rêves obscurs et suggestifs. Chants lugubres, manipulations mentales, plans qui alternent entre la lenteur qui voit l’angoisse monter et la rapidité qui crée le choc.
Résultat des courses, ou résultat du regard approfondi sur cette nouvelle œuvre de Netflix: déception, mais plaisir coupable aussi. La série n’est vraiment pas très bonne, ce qui ne lui empêche pas de comporter du très bon, dont le côté thriller et le jeu avec l’ésotérisme. Déception: on n’en sait pas vraiment plus sur Freud après Freud, ni sur la psychanalyse. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne va pas mieux connaître le maître et sa discipline. Après un peu d’entrain, de frissons et de réflexion, il se peut qu’on s’arrête là et qu’on passe à la prochaine série tendance du moment, comme il se peut qu’on approfondisse cette figure essentielle dans le paysage intellectuel du XXe siècle, dont l’influence demeure aujourd’hui encore. Curiosité de creuser, d’en savoir plus, de découvrir, et qui sait, de se retrouver face aux révélations vertigineuses de notre inconscient.
Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com
Crédits photos: © Netflix