Les mercredis du cinéma – Loris S. Musumeci
«Les Noirs adorent le poulet frit.»
Tony travaille comme videur dans un cabaret; sa carrure est on ne peut plus adaptée au métier. Mais voilà que l’établissement va fermer ses portes. Réputé pour s’arranger en toute situation – parce que c’est un baratineur et surtout parce que c’est un vrai rital – il est recommandé au pianiste virtuose Don Shirley. Il faut à ce musicien noir non seulement un chauffeur pour sa tournée dans le Sud, mais également quelqu’un qui veille sur lui. Nous sommes en 1962, et le racisme est plus que présent. Un rital et un négro sur les routes du Sud, est-ce possible? Il faut croire que oui, puisque Green Book: Sur les routes du sud ne raconte rien d’autre qu’une histoire vraie.
A peine sorti de la salle de cinéma, mon article pourrait se limiter à: «J’ai adoré!» Effectivement, le film est excellent. Mais vous en attendez sans doute un peu plus. Si Le Regard Libre est devenu une référence pour beaucoup en matière de cinéma, ce n’est pas en se limitant aux appréciations des rédacteurs. Inutile de vous dire que tout se finit merveilleusement bien: je peux me permettre de le divulguer sans rien divulgâcher.
Vous imaginez alors sans doute une historiette gentillette où un Italo-américain et un Noir vont apprendre à se connaître pour passer au-delà des préjugés? Vous avez raison. Vous vous imaginez une historiette gentillette dans laquelle l’intolérance et le racisme des Sudistes seront bouleversés par le couple de choc, musicien-chauffeur? Vous avez presque raison. Vous vous imaginez une historiette gentillette tout court? Vous avez complètement tort.
Oui, le film finit bien. Oui, il fait preuve d’une bonne morale. Mais n’oubliez pas qu’il s’agit d’une histoire vraie et, une fois n’est pas coutume, elle conjugue le réalisme à la caricature. Simplement, parce que Tony et Don Shirley sont eux-mêmes de délicieuses caricatures. Alors que l’un mange des pâtes préparées par sa femme en hurlant des «Vaffanculo!» sous le regard bienveillant d’une statue de la Vierge Marie dans la cuisine; l’autre, Noir qui ne vit pas comme les autres Noirs, joue de ses doigts fins, le menton levé, les plus grands classiques.
Et que l’histoire ait été réellement belle ne suffit pas. Peter Farrelly, jusque dans les détails, donne à sa réalisation les qualités d’un grand film. Certes, la musique, de Chopin au jazz le plus ivre, occupe une place centrale. Elle guide le spectateur à travers tout le long-métrage le rythmant et le rendant quasiment dansant. Mais la photographie va vous faire plaisir aussi.
Les couleurs, aussi peu importantes puissent-elles paraître, contribuent fortement au charme du film en créant des ambiances. Le jeu entre net et flou qui, pour le coup, vous semblera vraiment de l’ordre du détail dont tout le monde se fiche, rend en réalité l’ensemble de la réalisation plaisante à voir, même si le processus s’opère inconsciemment. Les doigts nets coulant sur le clavier brillant sont magiques. On est emporté dans la musique, on suit hypnotiquement l’image et l’on partage une aventure d’art et d’amitié dans le Green Book: Sur les routes du sud.
«On ne gagne rien par la violence. On gagne en gardant sa dignité.»
Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com
Crédit photo: © Ascot Elite Entertainment
GREEN BOOK: SUR LES ROUTES DU SUD |
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ETATS-UNIS, 2018 |
Réalisation: Peter Farrelly |
Scénario: Nick Vallelonga, Brian Hayes Currie, Peter Farrelly |
Interprétation: Viggo Mortensen, Mahershala Ali, Linda Cardellini |
Production: Participant Media, DreanWorks Pictures, Amblin Partners, Innisfree Pictures, Wessler Entertainment |
Distribution: Ascot Elite Entertainment |
Durée: 2h10 |
Sortie: 23 janvier 2019 |