Le Netflix & chill du samedi – Lauriane Pipoz
Harlan Coben, le maître américain du polar, débute sa collaboration avec Netflix par Intimidation. Basé sur son l’un de ses bestsellers, cette mini-série disponible depuis un mois est déjà dans le top 5 des plus regardées sur la plateforme. Les raisons? Des intrigues parfaitement ficelées. Une maîtrise absolue du suspense. Une indépendance vis-à-vis du roman qui convaincra les fervents lecteurs comme les non-initiés. Un humour plus british que son auteur. Mais il manque à ce cocktail le petit plus qui ferait tourner la tête.
Intimidation, c’est la preuve que les vieilles recettes fonctionnent toujours. La mini-série s’ouvre sur l’histoire d’un papa manifestement comblé. Adam Price (Richard Armitage – rien que pour ça, l’adaptation de The Stranger vaut le coup d’œil) a un bon boulot, vit en banlieue avec sa magnifique femme et va voir ses adorables garçons jouer au football le dimanche. Mais sa petite vie bien rangée va prendre un coup suite à sa rencontre avec une inconnue. Elle lui délivre une annonce déroutante: sa femme Corinne (Dervla Kirwan) n’est pas celle qu’elle prétend être. Puis, cette dernière disparaît.
Un ancrage intéressant
Il ne s’agit là que d’un pan de l’histoire: la ville des Price est secouée par de nombreuses irrégularités. A commencer par les étranges découvertes d’un alpaga décapité et d’un ado inconscient en tenue d’Adam dans la forêt. Forcément, il va falloir mener l’enquête. Et forcément, il va falloir sortir des cadavres des placards (au sens propre ou figuré). Cette (très) bonne recette est donc constituée par les faux-semblants: parmi ces gens si propres sur eux et sans liens apparents, peu sont blancs comme neige.
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Le paquet est bien ficelé. Jusque-là, rien de surprenant: cette série est issue d’une collaboration entre Coben, l’un des grands spécialistes du thriller psychologique, et Danny Brocklehurst, un scénariste qui n’a plus à faire ses preuves. Les intrigues seront donc démêlées lors du dénouement spectaculaire du dernier épisode. Chute si incroyable qu’elle surprendra certainement même les lecteurs de l’auteur américain lui reprochant de recycler les mêmes surprises.
La british touch
Mais si le spectateur traversera les révélations des huit épisodes, c’est certainement aussi grâce à un soupçon de légèreté qui ponctue la série. L’humour des ados, avouons-le, est un plaisir coupable: puéril mais tordant, il a été amené grâce à la patte fraîche de Charlotte, la fille de l’auteur. Agée de vingt-cinq ans, elle a su rendre les échanges des jeunes très crédibles. En revanche, on se passerait bien des blagues lourdes d’un enquêteur gay et stéréotypé: il n’était pas présent dans le livre. C’était certainement très bien comme ça.
Mais revenons aux modifications bienvenues entre le livre et la série. Tout d’abord, un retournement de situation extrêmement surprenant: ce n’est pas le genre de séries où l’on s’attend à découvrir un deuxième personnage LGBT (nous ne signalerons pas de quelle lettre il s’agit pour ne pas gâcher le suspense). Intégré de façon nettement plus fine et naturelle que le premier. Ensuite, l’ancrage d’Intimidation dans une petite ville d’Angleterre: le temps maussade et l’ambiance lourde sait prendre aux tripes presque comme pourrait le faire un huis clos. Temporisé par la touche british de l’enquêtrice mûre, pince-sans-rire et jamais sans son thé. Un classique indémodable.
Mais rien de plus
L’intrigue est bel et bien superbe et l’humour, au rendez-vous. Oui, mais qu’apporte de plus cette série, par rapport à des classiques du genre comme Broadchurch ou Top of the Lake? Hé bien, pas grand-chose. Si l’on s’amuse à noter les critères qui reviennent à chaque adaptation de polar dans une mini-série, Intimidation coche toutes les cases. Sauf que cette grille a déjà été souvent recyclée au cours des années 2010. Harlan Coben, très actif sur les réseaux sociaux en bon écrivain de notre temps, a examiné les réactions de son public avant de s’en réjouir: «So far no one’s really found a hole in the plot!» Certes. Mais ce n’est pas suffisant. A ce niveau-là, The Woods, qui sera adaptée courant 2020 par Netflix Pologne, sortira-t-il du bois?
Ecrire à l’auteur: lauriane.pipoz@leregardlibre.com
Crédit photo: © Netflix