Breaking Bad est la série culte du passage des années 2000 aux années 2010. Même si beaucoup a déjà été écrit sur cette œuvre magistrale de Vince Gilligan, tout n’a pas été dit sur la richesse de sa photographie. La couleur jaune y joue un rôle passionnant.
A lire: entretien avec l’historien des couleurs Michel Pastoureau sur son nouvel livre Jaune dans notre édition d’avril, en pré-commande ici.
C’est l’une des meilleures séries toutes plateformes confondues, selon de nombreux classements connus et reconnus. L’une des plus populaires, cela va sans dire; les chiffres parlent. Mais l’une des plus abouties, cela peut paraître subjectif… Ça l’est: tout jugement de goût est d’abord le jugement d’un sujet, il est donc relatif à un sujet –, autrement dit subjectif. MAIS ce jugement porte sur un objet, qui possède des caractéristiques objectives. Le subjectif et l’objectif ne s’excluent pas l’un l’autre; au contraire, ils s’enrichissent. Et quelles richesses, justement, peut-on trouver dans Breaking Bad sans même les chercher; en regardant simplement la série, pour commencer.
Petit rappel de l’intrigue
En guise de petit rappel de l’intrigue, cette série américaine réalisée par Vince Gilligan, qui avait fait ses preuves comme scénariste pour la série X-Files, met en scène un chimiste surqualifié, Walter White, qui apprend un beau jour qu’il a le cancer. Par suite, l’homme décide de se lancer dans le trafic de méthamphétamine afin de mettre de côté suffisamment d’argent pour l’avenir de sa famille. Breaking Bad, au titre excellemment choisi, raconte ainsi la conversion d’un père de famille exemplaire en un véritable monstre. Un loser poignant, que l’on commence par aimer et qu’on finit par aimer détester.
Sans parler des différentes péripéties dont l’écriture est digne des meilleurs thrillers, toute la force scénaristique de cette série se trouve dans la complexité non seulement du protagoniste principal, mais de tous les autres personnages. Personne, ou presque, n’échappe à une certaine ambivalence morale, à un balancement entre une facette lumineuse et une facette plus sombre. En somme, Walter n’est pas si white que cela – il le sera de moins en moins, en quelque sorte – mais c’est le lot de tout le monde. La société se compose exclusivement d’«âmes grises», pour reprendre l’expression de l’auteur Philippe Claudel qui en avait fait le titre d’un roman.
Walter Yellow
Ce jeu de mots – un vrai jeu de mots, c’est-à-dire qui a du sens – sur le nom de famille du chimiste Walter n’est pas si anodin. En réalité, les couleurs ont leur pleine importance. Si elles sont de toute manière truffées de symboles dans notre vie de tous les jours, les couleurs sont choisies avec un soin particulier dans la série Breaking Bad. Benjamin Campion a rapporté des éléments fort intéressants sur le noir, le rouge, le vert, le bleu, l’orange et même le rose dans son article «Les couleurs de Breaking Bad» abrité par LeMonde.fr. Mais, étrangement, la couleur jaune n’apparaît pas dans son papier! Le jaune a pourtant des significations qu’on lui attribue classiquement et qui font directement écho à la série, en commençant par son personnage principal, Walter White.
Comme le rappelle l’historien des couleurs Michel Pastoureau dans son ouvrage Jaune. Histoire d’une couleur, le jaune est lié depuis longtemps à la maladie. Notre vocabulaire déborde de formules telles que «jaunisse», «jaunâtre» et même «jaunasse» – je ne le prends pas mal. Maladie qui fait référence au cancer de Walter. Le jaune, c’est la couleur de l’urine, et de la bile jaune, humeur de la colère et reliée au foie. Humeur de la violence, également, très présente dans Breaking Bad et les actions des personnages, Walter en tête. De même, quand le jaune est vu positivement, il est historiquement plutôt associé à l’or et donc à la fortune pécuniaire. L’étymologie nous renseigne enfin sur l’intimité linguistique qui unit le jaune et la trahison. Les deux mots viennent de felon. Et sans trop vous dévoiler le synopsis, tout le monde aura compris qu’il est question de trahison dans de telles histoires.
Jaune, le monde est jaune
«Stone, le monde est stone», entendait-on dans Starmania, l’opéra rock de Michel Berger. Ce n’est pas Breaking Bad qui fait exception. Mais surtout, dans cet univers de fiction, le monde est jaune! Le vert, présent aussi dans la série et tenant ses symboles, est la couleur par excellence de la nature. Mais peut-être est-ce parce qu’il y a très peu de nature, si ce n’est aride, dans la série, que son environnement a une dominance clairement jaune dans ses colorations. Cette ambiance chromatique s’ancre dans des choses concrètes: la terre du désert, le soleil aveuglant, la végétation ingrate; mais encore le camping-car, les combinaisons de laboratoire, le logo de la chaîne de restauration Los Pollos Hermanos, les vêtements de son directeur Gustavo Gus (sans faire dans l’autisme, le «G» n’est-il pas une lettre profondément jaune?) et de ses collaborateurs.
Cette omniprésence du jaune comme élément fondamental du monde nous dit quelque chose du sens de la série. Si ce n’est pas le vert habituel des arbres et des champs qui a été choisi pour évoquer les paysages, c’est parce que l’environnement n’est pas conçu comme doux du point de vue de la caméra. Le monde est dur, cruel. Et ce n’est pas s’engouffrer trop loin dans des interprétations philosophiques que d’y voir également la toute-puissance du soleil comme astre du jour et de la vie. Une vie rude qui finit toujours par s’éteindre. Tout comme le soleil, qui se fait souvent couchant dans les plans de Breaking Bad. C’est la mort qui guette Walter White, dont l’existence déclinante le fera tomber peut-être plus vite encore que sa maladie. Le jaune, voilà comment se résume Breaking Bad. Une couleur qui nous ramène continuellement au tragique.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com