Les mercredis du cinéma – Jonas Follonier et Lauriane Pipoz
Un homme prestant vêtu d’une tenue d’ange orangé s’élançant vers le ciel s’avance d’un pas décidé, prêt à entrer sur ce qu’on imagine être une grande scène. Mais cette grande première scène du film nous surprend: l’extravagant personnage incarné par Taron Egerton débarque dans une réunion d’alcooliques anonymes. «Je m’appelle Elton Hercules John et je suis alcoolique, cocaïnomane, sex addict, boulimique…» Le visage de l’acteur en ce début du film est bouleversant, ses paupières pleines de poudre et de terrifiant chagrin sont annonciatrices du fil rouge du film.
Rouge comme l’éclat de ses lunettes à teinture. Des lunettes pour se cacher, de la même manière que les teufs actuelles sont un refuge pour nombre de jeunes timides et totalement perdus dans une vie effrénée? Sans doute. Elton John, ce film nous le montre suffisamment, est un introverti qui se déguise en extraverti. Un peu comme Michel Polnareff – oui, encore lui. Quand d’ailleurs un journaliste lui demanda si dans les seventies il ne se considérait pas comme l’Etlon John français, Polnareff avait eu cette réponse de poupée qui fait non et qui laissa le journaliste coi: «Non, non, non. Elton John est le Polnareff mondial.» Pour vous persuader que cette comparaison entre les deux rois de la pop n’est pas une élucubration, prière de vous en remettre à l’un des meilleures critiques rock actuels et véritable héritier de Lester Bangs, Bester Langs, et son article Michel Polnareff. Derrière les lunettes.
Rocketman est au fond tout aussi comédie musicale que drame: puisqu’il s’agit de transmettre les émotions d’Elton John au spectateur, autant le faire en musique! Le récit est ainsi entrecoupé de moments musicaux. Mais loin de montrer – de façon vue et revue – uniquement les passages sur scène du chanteur et musicien, ils sont intégrés dans la vie d’Elton John pour décrire les sentiments qu’il a ressentis. Cette utilisation de la musique comme vecteur d’émotions fonctionne extrêmement bien. Et nous permet parfois de découvrir les chansons sous un angle différent. Tiny Dancer, à titre d’exemple, est un moment unique de cinéma! On comprend véritablement cette chanson quand on la voit à l’écran chantée par le personnage principal alors qu’il se trouve lui-même spectateur d’une scène de complicité entre son ami et une jeune femme.
Un film qui assume sa subjectivité
Mais au-delà du côté émotionnel de la musique et de la redécouverte de certains titres, la musique permet aussi de mettre en évidence le côté non-objectif de l’histoire. La subjectivité paradoxalement essentielle aux biographies est entièrement assumée, notamment avec des personnages stéréotypés – le très méchant producteur, le très gentil parolier, la mère très égoïste. Ce qui n’est absolument pas dérangeant: il fallait bien faire des choix pour montrer – et monter – des dizaines d’années en 2h. De même, Taron Egerton incarne non seulement à la perfection Elton John, mais cette perfection s’incarne par une performance très personnelle. Et qu’est-ce qu’il a du charme.
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Il semblerait que l’idée maîtresse du film soit de décrire les effets de l’entourage d’Elton John sur sa personnalité et sa musique. Pourquoi donc compliquer l’histoire? Il s’agit de la biographie du chanteur, pas de celle de son entourage. Le moment où ils se mettent à chanter permet d’accentuer le fait que nous nous trouvons bien face à un spectacle, un show à l’américaine, où tout est exagéré et extravagant à la manière d’Elton John. Seul point sur lequel cette œuvre aurait pu être moins prude, l’homosexualité de notre héros. La caméra semble si peureuse devant les deux seules scènes de sexe masculin que l’on devine les affaires de censure au niveau de la production.
Outre les effets de son entourage sur le chanteur-compositeur, ce sont aussi les effets de la drogue, une autre forme d’entourage, qui sont peints à l’écran. Une fatalité bien connue dans le monde du rock. Bien des scènes du film ont pour objet les multiples addictions d’Elton John, et une en particulier explose par son génie artistique. On voit le britannique avaler quantité de pilules, arroser toute cette pitance d’alcool et plonger dans sa piscine, en pleine fête avec ses proches. Dans l’eau, c’est toute la solitude du rockeur dans laquelle on plonge, et on voit son avatar enfant, incarné lui aussi par un excellent acteur, jouer sa chanson au fond de l’eau sur un petit piano. Des images comme celle-là, vous en aurez pléthore en allant voir Rocketman. Un film important, à la fois divertissant et émouvant.
Rocketman |
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GRANDE-BRETAGNE, 2019 |
Réalisation: Dexter Fletcher |
Scénario: Lee Hall |
Interprétation: Taron Egerton, Jamie Bell, Richard Madden |
Production: David Furnish, Matthew Vaughn |
Distribution: Paramount Pictures |
Durée: 2h01 |
Sortie: 29 mai 2019 |
Ecrire aux auteurs:
jonas.follonier@leregardlibre.com
lauriane.pipoz@leregardlibre.com
Crédit photo: © Paramount Pictures