Les mercredis du cinéma – Loris S. Musumeci
«Je suis l’élite hérétique. Et pour info, connard, le réchauffement climatique, c’est pas des conneries.»
Dans le monde de The Hunt, un groupe de superpuissants de la haute élite bien-pensante organise une partie de chasse. Alors même que la chasse, ce n’est pas trop leur truc a priori, pour eux qui sont vendus aux idéologies frôlant avec le véganisme. La chasse est pourtant bien organisée, mais contre des êtres humains. Ces victimes ont été kidnappées par le groupe de l’élite après avoir été repérées sur les réseaux sociaux.
Elles ont toutes en commun d’être «des putains de complotistes homophobes et racistes». Pas de bêtes à chasser donc, mais cette bande de «crétins qui utilisent le mot N.E.G.R.E.» et qui «fument des clopes». Le groupe d’élitistes n’y va pas de main morte niveau violence. La chasse est lancée contre ces ennemis du progrès: coups de feu, flèches, pléthore de pièges et de ruses. Mais parmi les complotistes, il y a une femme, Crystal, qui n’est pas prête à se laisser bouffer.
Sans accomplir de prouesses au niveau de la mise en scène, The Hunt de Craig Zobel a du bon, et même du très bon, dans l’intelligence de son propos. Et même la mise en scène n’est en fin de compte pas si désagréable que cela: elle investit surtout dans la violence un peu gore des films d’horreur – tout en la parodiant cependant – et dans les scènes de combat. On a donc là un film d’action porté sur la réflexion.
Une réflexion, comme dit, intelligente, et plus encore, courageuse, parce qu’elle s’attaque à la question du complotisme. Alors que le scénario pourrait avoir tendance à laisser croire qu’il prend le parti des complotistes contre les élites, l’affaire est en fait plus subtile. Certes, les complotistes sont érigés en victimes; ce qu’ils sont pour le coup, vu qu’on les massacre bien violemment. Et les élites sont érigées en bourreaux; il y a de quoi aussi vu qu’elles se laissent aller à leurs pulsions de mort les plus sombres. Il reste toutefois que ces deux groupes d’ennemis jurés sont renvoyés dos à dos par le message que délivre le film.
On montre et les torts des élites et les torts des complotistes. On montre et comment les élites se sentent exacerbées par les propos et le mode de vie des complotistes, et comment les complotistes se sentent humiliés et sans cesse trahis et manipulés par les élites. On montre aussi à quel point les deux milieux, quand ils logent dans leurs côtés les plus extrêmes, sont profondément malsains.
Le complotiste qui peut dire des choses vraies mais qui raconte surtout un tas de conneries sur les réseaux et qui ne se sent plus aller dès qu’il aperçoit cinquante like sur sa publication, souvent haineuse, souvent incohérente. L’élitiste qui prend tout le monde de haut, qui se croit capable de pouvoir manipuler quiconque au nom de son idéologie et de ses intérêts. La seule différence entre les complotistes et les élites, c’est que les complotistes agissent souvent plus par ignorance que par malice; alors que les élites agissent souvent plus par malice que par ignorance. Mais la richesse finale du scénario réside dans le dépassement de ces deux catégories. Pas question de divulgâcher quoi que ce soit pour un film qui mise beaucoup sur le suspense, mais peut-être bien que ce qui crée de toutes pièces ces deux catégories ennemies réside surtout et avant tout dans le malentendu.
«C’est toujours pareil avec les élites, ils se croient toujours meilleurs que nous.»
Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com
Crédit photo: © Universal Pictures