Pris en étau entre la pornographie et la pudibonderie, l’érotisme semble s’effacer du devant de la scène occidentale. Difficile dans la vie de ne pas tomber sur les codes du porno repris par l’industrie musicale et cinématographique, la télé-réalité ou encore les médias sensationnalistes. Mais aussi, à l’inverse, sur des choses qui ont choqué certaines âmes – puritaines, hygiénistes, woke, d’extrême droite, d’extrême gauche, d’extrême centre… – parce qu’elles ont, directement ou indirectement, trait au sexe.
C’est ainsi que sur Facebook et sur Instagram, une photographie où l’on aperçoit un téton sera immédiatement supprimée (expérience faite avec la couverture du présent numéro, ce qui nous complique la tâche pour la promo). En revanche, un mot d’insulte sera viré seulement si un utilisateur le signale – et encore. Autre exemple, le roman graphique Maus d’Art Spiegelman, un classique parmi les œuvres didactiques consacrées à la Shoah, a été écarté d’une école du Tennessee en ce début d’année, parce qu’on y trouve des mots «vulgaires» et « une femme nue ». Notons que la femme dénudée en question est la mère de l’auteur, dont il a dessiné le corps dans une baignoire pour illustrer son suicide. On ne la voit qu’une fois sur les 296 pages, et de manière très soft (l’entrejambe n’est pas visible). Cette affaire nous invite à penser qu’un rapport malsain au sexe (en l’occurrence l’organe) cache souvent un rapport malsain à la vie, ainsi qu’à la mort.
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Nul doute que si la pudibonderie croît, la pornographie croît aussi – et inversement. Pas étonnant, donc, que les Etats-Unis soient actuellement le théâtre par excellence de l’une et de l’autre.
L’érotisme est à portée de main
L’érotisme est pourtant là, partout, à portée de main. Il suffit de faire fonctionner notre imagination pour qu’il nous apparaisse. Fréquenter des œuvres délicates – on n’en manque pas en Europe – contribue en outre à affiner ce qui se présente comme un sens de l’érotisme; il en va de même de l’appréciation d’un paysage. Les courbes d’un portrait de femme, la sensualité d’un air musical, le caractère suggestif d’un roman, autant de marqueurs potentiels d’érotisme. Mais savons-nous encore en ressentir le frisson, sans impatience , et nous en satisfaire? Poser cette question, c’est déjà y répondre un peu.
Quelque chose s’est perdu entre les facilités du sexe commercial et du sexe camouflé. Un registre de l’entre-deux, de la nuance, de l’ambiguïté, du possible, se fait cruellement désirer. A qui la faute? Difficile à dire, et ce n’est pas le propos ici. Nul doute que les images du moment déterminent autant les mentalités que les mentalités déterminent ces images.
Le fait est qu’une redécouverte de l’érotisme par le grand nombre s’impose. Par chacun de nous, au quotidien, afin d’échapper aux phénomènes uniformisateurs ou moralisateurs dont nous nous pensons trop souvent à l’abri. Pour ce faire, adopter une approche plus esthétique de la vie ne serait certainement pas de trop.
«L’érotisme se situe finalement à la place de l’observateur», écrit Aude Robert-Tissot dans son article sur la pratique du shibari. Contrairement à la pornographie, qui force l’entrée de nos esprits, l’érotisme est une qualité que l’on choisit de conférer au réel. En prolongement de la vue, le sens le plus intellectuel selon Aristote. Le regard humain est un regard libre. Autorisons-nous à porter un regard érotique sur le monde.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com