C’était un personnage de roman. Il y a eu le personnage, il y aura maintenant le roman, à paraître en septembre. L’écrivain fribourgeois Michel Layaz, l’un de nos auteurs aux phrases les plus léchées, s’apprête à publier aux Editions Zoé un magnifique récit sur la vie, la niaque, la singularité de Louis Chevrolet. Le Suisse de naissance qui grandit en Bourgogne, devint mécano en France et s’imposa comme l’un des meilleurs pilotes de course dans les Etats-Unis des années 20, y perdit beaucoup de plumes, jusqu’à l’utilisation de son nom. Mais il laissa aussi à la postérité de quoi écrire sur ses moteurs et sa hauteur.
La voiture est sans doute l’un des derniers grands symboles de la liberté à l’occidentale. Si, aujourd’hui, l’une comme l’autre ont parfois un goût de nostalgie, c’est qu’elles riment avec une époque plus ou moins révolue, celle où le progrès était une évidence, où l’extension du monde et de soi servait de boussole à tout un chacun et où l’enthousiasme, l’émerveillement n’étaient pas de vains mots. Or bien en delà des années 60 et 70, il y eut les balbutiements d’un monde qui était encore à venir. Les premières grandes courses vers le futur, les premières grandes courses automobiles.
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De la volonté, du travail, du rêve
Après sa naissance à La Chaux-de-Fonds en 1878, Louis, de son prénom, sortit de la Bourgogne où il avait grandi pour monter à Paris, où il devint mécanicien et commença à prendre des responsabilités, modestes certes, mais importantes sans doute dans la détermination de son parcours. Devenir quelqu’un, avoir du mérite et gagner de l’argent, c’était déjà le projet du jeune garçon qu’il avait été et qui allait faire pleurer de joie et sans doute de lucidité sa famille qui devait le voir partir un jour pour la capitale:
«Moi aussi, je veux gagner de l’argent, comme papa et comme Alfred! Louis s’est dressé, le regard fougueux. A la rentrée scolaire de l’année 1890, proche de ses douze ans, Louis ne retourne pas en classe. On lui propose des bricoles, il les accepte. La rumeur circule: un des gamins du clan Chevrolet travaille vite et bien. Un bourrelier cherche un assistant. Rien de ce qui s’apprend ne fait peur à Louis. En quelques semaines, il sait réparer des colliers de cheval, mieux encore, les fabriquer. Il y a peut-être là de quoi assurer son avenir, mais Louis le pressent, le cheval n’est pas le meilleur moyen pour enjamber le siècle nouveau.»
Une fois mécano accompli, le jeune homme un peu rustre, mais surtout rêveur, c’est-à-dire entrepreneur, s’ennuya bien vite. Et c’est donc sur les Etats-Unis, qu’on pouvait encore appeler «l’Amérique» sans se faire taper sur les doigts, qu’il mit le cap. Quelques abnégations plus tard, Louis y mania les voitures de course les plus dingues, alors Fiat ou Buick, jusqu’à devenir l’un des meilleurs pilotes du moment. On l’appela le «petit prodige français de la vitesse». Et son patronyme d’entrer dans l’histoire, tout autant que son visage et sa force de caractère, sur la piste comme dans ses projets.
Un homme porté par un je ne sais quoi
C’est surtout cette période-là que couvre le roman de Michel Layaz: sa rocambolesque aventure américaine, faite de plusieurs vies, de montagnes russes émotionnelles et professionnelles, et qui se termina à Détroit. La saga Chevrolet a pour arrière-fond l’arrivée des grandes usines, la prohibition, le racisme, la Grande Dépression, le krach de 1929… Ni véritable biographie, ni fiction poétique, la prose du Romand épouse à merveille le pragmatisme teinté d’évasion qui caractérisa Louis toute sa vie. Bon, loyal et posé, il compta par centaines les folies, les accidents, les coups de colère et les coups de tête à chaque fois qu’il prenait place dans un bolide ou dans le contexte automobile. Trop d’amour de la vitesse; trop de détermination, de talent. Bref, c’était un gars des confins. Un artiste.
Un chapitre, «La coupe Vanderbilt, clap de fin», excelle dans la narration de ce qu’était en ce temps-là une course, de ce que vivait ce fou de Louis dans son engin. Des voitures de vitesses, il en créa, se lançant dans plusieurs projets industriels, dont bien sûr la création de la marque Chevrolet, qu’il vendit pour une bouchée de pain à son co-fondateur Billy Durant (créateur de General Motors), lui laissant même l’usage exclusif de son nom Chevrolet. Pourquoi diable avoir fait ça? L’ouvrage de Michel Layaz, dont on pourrait vanter chaque recoin, pourrait se résumer à cette question, ou plutôt à l’explication de ce qui s’apparente au grand mystère, voire à la grande injustice, de cette brillante existence, qui nous aura arraché une larme:
«Avant de s’endormir, ou de payer ses fournisseurs, lui arrive-t-il de penser à ce jour fâcheux où il a cédé son nom avec tant de désinvolture? On lui conseille de faire valoir ses droits. De contester. De prendre des avocats. D’attaquer franco la General Motors qui a maintenant absorbé la marque Chevrolet. Louis s’en fiche. Il est un inventeur, un casse-cou, un pilote, nullement un businessman, encore moins un revanchard. Mettons ailleurs notre mordant.»
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Crédit photo: © Chevrolet Média
Michel Layaz
Les vies de Chevrolet
Editions Zoé
2021
128 pages