Les lundis de l’actualité – Jonas Follonier
Il existe des moments de télévision qui sont de véritables perles en direct, des instants d’intelligence et d’intimité qui rehaussent le téléspectateur. L’émission La Grande Librairie du 26 octobre dernier, sur France 5, m’a particulièrement ému, tant j’assistai à un grand moment du petit écran.
L’émission présentée par l’excellent animateur François Busnel mettait à l’honneur Fabrice Luchini. Ce comédien français devenu incontournable est venu parler de son nouveau spectacle, «Des écrivains parlent d’argent». Fait étonnant, la star névrotique ne s’est pas emportée jusqu’aux délires hystériques (et délicieux) auxquels il nous a habitués à la télévision. Luchini fut serein, sans pour autant se travestir dans la normalité.
Une attitude parfaite pour échanger avec le premier invité à le rejoindre sur le plateau: Alain Finkielkraut. Le philosophe et académicien est en effet celui qui a insisté auprès de Fabrice Luchini pour que Charles Péguy figure dans un de ses spectacles. C’est désormais chose faite avec «Des écrivains parlent d’argent», où Péguy côtoie Céline, Marx ou encore Bruckner. Finkielkraut avait d’ailleurs invité Luchini dans son émission Répliques, sur France Culture, pour en parler.
Luchini, sur le plateau de Busnel, est revenu sur cet épisode: «C’est Alain Finkielkraut qui m’a fait comprendre Péguy, qui m’a renseigné.» On sent chez le comédien un profond respect pour le philosophe, mêlé d’une admiration que Finkielkraut lui retourne. Il est rare de voir ce dernier sourire autant, comme il est rare de voir Luchini se mettre en retrait, l’attention totalement tournée vers son interlocuteur.
Cette discussion animée par François Busnel permit aussi de rompre avec l’image réactionnaire et «vieux con» qu’une certaine presse colle à Alain Finkielkraut. Luchini a tenu à témoigner de sa propre expérience avec l’intellectuel: «Personne ne sait à qui point il est drôle, à quel point il est touchant, et sympathique.» Il est important que des personnalités publiques telles que Luchini dissipent le mal-entendu qui règne autour de l’auteur de L’Identité malheureuse.
Cette question mise à part, une rencontre entre deux personnes d’une telle qualité ne peut engendrer que des réflexions en or, des fulgurances touchant à leur passion commune: la littérature. Quand Finkielkraut se met dans la peau de Flaubert pour parler de sa vision du roman, cela donne: «C’est l’alliance de la beauté et de la vérité qui fait la grandeur de la prose.» Luchini, pénétré lui aussi par cet écrivain majeur, a cité l’une de ses phrases les plus renversantes: «Je vais donc reprendre ma pauvre vie si plate et tranquille, où les phrases sont des aventures.»
Une autre passion commune aux trois hommes présents sur le plateau, et intimement liée à la littérature: la langue. S’il y a bien une chose qu’Alain Finkielkraut aimerait que l’on sauvegardât en priorité, c’est la langue française, à l’heure où celle-ci est de plus en plus malmenée. «Même les comédiens, parfois, quand ils sortent de scène, parlent n’importe comment.» Un comportement que le philosophe oppose bien sûr à celui de Luchini, l’un des seuls à encore habiter la langue et à nous la faire aimer.
Ces moments de télévision sont uniques pour l’émotion intellectuelle qui s’en dégage. Une émotion que les deux sexagénaires français se découvrent l’un pour l’autre; une émotion qu’ils partagent pour la littérature, et pour une école française qui n’est plus; une émotion que Finkielkraut décèle dans le gauchisme auquel il appartenait en mai 68 et auquel il songe avec une nostalgie empreinte d’un certain humour; une émotion, enfin, que Luchini affiche face au courage et à la lucidité de son nouvel ami.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Crédit photo: © Capture d’écran YouTube
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