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«Rhinocéros» ou le totalitarisme4 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Certaines pièces de théâtre expriment quelque chose de tellement fort, violent ou dur, qu’elles laissent le spectateur abasourdi, collé au siège, ne sachant que dire, que faire, hésitant entre le rire ou la larme. Le Rhinocéros d’Eugène Ionesco incarne justement ce type de théâtre; aussi la lecture seule de la pièce suffit-elle pour rester muet de stupeur et hurlant à la révolte.

L’histoire est ambiancée dans une typique petite ville de province. Le début est calme, paisible, il sent le pastis sur une terrasse ensoleillée. Midi approche, les compagnons Jean et Bérenger apparaissent sur scène chacun de leur côté pour prendre un verre au café proche de l’épicerie. On entend, par dessus la discussion des deux ainsi que des autres habitants du quartier, le silence estival de la chaleur qui craquèle le sol immobile et sec. Lorsque soudain, s’impose à l’ouïe de plus en plus fort le bruit dévastateur d’un animal qui semble être toujours plus près; le tout accompagné d’un long barrissement. Un rhinocéros!

Le dernier homme

Les discussions se lèvent mais rien ne semble trop dérangeant, si ce n’est l’absurdité de la situation et des propos qui y sont tenus notamment par le vieux monsieur ou le logicien qui se trouvent sur la place. C’est au tour à un deuxième rhinocéros de passer ensuite. Sans véritablement se poser la question de la présence de ces bêtes en ville, on débat sur le nombre de cornes du premier et du second ou encore sur leur provenance géographique: Afrique ou Asie? La pièce se poursuit à peu près sur le même ton, bien qu’elle perde progressivement son côté comique au profit du dramatique, voire du tragique.

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Peu à peu, tous les personnages se bestialisent en rhinocéros, sauf Bérenger, lui qui est simple, décalé, un peu idiot, un raté en somme. Des plus raffinés aux plus pédants, aux plus moralisateurs, aux plus autoritaires, aux plus tolérants, tous y passent. Seul Bérenger, «le dernier homme», est placé face à la question de l’absurde: vaut-il encore la peine de vivre? Même seul?

«BERENGER. […] Contre tout le monde, je me défendrai! Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout! Je ne capitule pas!
Rideau»

Le totalitarisme comme objet et comme contexte

Rhinocéros s’explique aussi par son contexte historique. Eugène Ionesco écrit sa pièce en 1959, dans un après-guerre encore bien marqué par les dictatures. Nazisme allemand, fascisme italien, communisme soviétique ou encore Garde de Fer roumaine, que l’auteur a connu de par son origine roumaine justement, tous sont «rhinocérisants». Le dramaturge dénonce ici le totalitarisme et prévient son implantation. Le totalitarisme est contagieux. Il rend insensible et inhumainement dur, telle la peau d’un rhinocéros.

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Tout est militarisé dans un régime de ce type: le rhinocéros porte le costume du guerrier par excellence, en effet il est armé de cornes, protégé de cuirasses et d’un teint gris-vert. L’innocence apparente est également de la partie: on banalise le mal, on se dit que tout va bien, on se laisse gentiment dérober sa liberté, on suit toutefois le mouvement, on est alors ensemble car personne ne voudrait résister seul comme Bérenger. Ce dernier évoque d’ailleurs l’innocence liée à la bêtise lorsque le digne instituteur Botard cède aussi à la métamorphose:

«Eh bien, réflexion faite, le coup de tête de Botard ne m’étonne pas. Sa fermeté n’était qu’apparente. Ce qui ne l’empêche pas, bien sûr, d’être ou d’avoir été un brave homme. Les braves hommes font les braves rhinocéros. Hélas! C’est parce qu’ils sont de bonne foi, on peut les duper.»

Le totalitarisme était et demeure agressif, insensible, inhumain, aliénant, culpabilisant, mais surtout il détruit la personne en violant son intimité, j’ai nommé sa conscience.

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Vous venez de lire l’épisode 5/6 de notre série «Promenades théâtrales», un article publié dans Le Regard Libre N°18.

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