Après Le dernier en été en ville, roman culte de l’auteur italien Gianfranco Calligarich publié dans les années 70 et traduit en français dans les années 2020, voici une autre recommandation de lecture de qualité qui se prête à merveille à l’été: Une jolie fille comme ça de l’auteur britannique Alfred Hayes, paru initialement en 1958. Lui aussi tiré de la collection «Du monde entier» de Gallimard et disponible en poche.
Espaces interdits, espaces des non-dits: peut-on retenir des mots prononcés, un je t’aime vacillant lancé dans l’obscurité? Des mots planant entre les corps, puis finissant par se dissoudre, comme un secret. Paroles calcinées. Lambeaux de rêves brûlés. Zone qu’on ne pensait jamais franchir. Une note de jazz au loin, qui se mue en une tristesse insondable. L’amour est un désir alourdi par l’erreur, la stupidité, la vanité et la souffrance. Une plainte sans nom qui cherche à répondre à tous les visages. Une mélancolie à la douce amertume de martini.
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Hollywood, années 50. Un soir, lors d’une de ces fêtes aussi bruyantes qu’arrosées, un homme s’approche de la rambarde, las d’observer avec dédain ce cocktail de vanité et vacuité. L’océan s’étale à perte de vue, picoré par les lumières de la fête au loin. Il plonge son spleen dans la froideur calme de la nuit et ne pense à plus rien, se laisse bercer par l’inconnu. Une silhouette se détache vers le rivage: une femme avec un verre à la main. A peine a-t-il le temps de la fixer qu’elle s’élance dans l’océan. Quelques minutes plus tard, il la tire péniblement des flots. Il l’a sauvée.
Sauver l’amour pour mieux s’y noyer
Et pourtant, c’est vers leur perte qu’ils iront. Très vite, ils deviendront amants. Par la force des choses, l’impuissance des autres. Lui est un scénariste à succès, la quarantaine, elle une jeune femme, cherchant la gloire de la scène et l’éclat éternel de sa vingtaine. Ils ont en commun un désespoir existentiel évident et un besoin d’évasion. Deux âmes perdues qui vont tournoyer, un temps, dans ce bal des illusions brisées.
«Ce qu’elle possédait, en revanche, apparemment, était une espèce de désespoir, qui engendrait une forme différente, un genre alternatif de séduction.»
Alfred Hayes excelle pour suggérer l’essentiel en quelques phrases: un narrateur qui s’ennuie, une jeune femme aussi crépusculaire qu’évanescente, une histoire d’amour comme seul remède contre le réel, du mystère et des pleurs voilés. Une plume à la fragilité mélancolique pour une histoire qu’on lit le regard perdu dans le lointain.
Ecrire à l’auteur: quentin.perissinotto@leregardlibre.com
Image: L’auteur britannique Alfred Hayes © DR
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Alfred Hayes
Une jolie fille comme ça
Gallimard
2015
166 pages