La rentrée littéraire, c’est un peu comme le paquet de popcorn au cinéma: tout paraît magnifique à première vue, mais une fois sa main plongée dans la masse, il n’y a que des grains durs. Alors pour l’éviter, exhumons un petit bijou édité en 1987 aux Etats-Unis.
White Palace, c’est l’histoire de deux êtres dépareillés, issus d’univers qui n’ont rien en commun. Le récit d’une rencontre improbable, d’un accident du destin. L’irruption d’une passion déboussolée qui se transforme en amour cabossé. Max, publicitaire petit-bourgeois de 27 ans, termine sa soirée en décuvant dans un bar miteux où flotte une odeur de bière rance, de parfum bon marché, de friture et de sueur. Son regard croise celui d’une femme accoudée au comptoir. Nonchalamment, avec l’insolente indifférence de ceux qui ont une gueule de bois en pleine semaine, il lui rend son salut.
Callipyge
De sa silhouette, il ne devine presque rien, dissimulée derrière les arabesques de fumée de sa cigarette. Mais lorsqu’elle quitte son tabouret, ses pensées tout entières convergent vers l’échancrure de sa robe pour former un seul mot dans son esprit: callipyge. Des épaules osseuses, une taille étroite, un visage trop maquillé, des traits anguleux et durs, mais une croupe hors de proportion. Oui, c’était bien ce mot qui lui avait sauté aux yeux; callipyge.
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Max n’avait jamais été très attiré par les postérieurs gigantesques, mais il se dit qu’il aurait bien voulu encore l’examiner brièvement, par pur intérêt esthétique, quoique sans doute pervers. Et voilà que cette femme lui tapote l’épaule. C’en est foutu de Max, rien ne sera plus comme avant. D’englué dans le quotidien, il passe à englué dans les sentiments contraires.
Deux êtres comme deux antithèses
Il aime la propreté, l’ordre, l’éducation, la politesse, tout ce qui est classe, lisse et sans éclat ; il découvre que Nora est inculte, bordélique, vulgaire, ridée… mais surtout qu’elle l’attire irrésistiblement. Et inévitablement. Sans parvenir à savoir pourquoi, ni quoi faire de ce désir.
Au travers de ce duo amoureux bringuebalant, Glenn Savan offre un splendide roman, détonnant, qui tente de cerner les mouvements du cœur, d’en percer leurs raisons et leur désordre. White Palace nous catapulte dans ce que l’inclination amoureuse a peut-être de plus absolu: sa capacité à remettre en cause toutes les certitudes et les attentes. Max n’est ni admirable ni rassurant, Nora n’est pas plus attentionnée que charmante, mais leur liaison les fait se sentir valables, simplement. Et si tout cela n’est qu’un accident, alors pourquoi est-ce impossible de fuir?
Un amour navrant de beauté
Il n’est pas question ici de romantisme, de grandes effusions ou de beaux discours, uniquement de deux êtres empêtrés, qui ne savent s’accommoder de cette attraction et n’osent pas affronter leur vulnérabilité. Deux êtres qui semblent chacun danser sur une crête étroite, au bord de l’abîme des sentiments, séparés par les convenances, réunis par une même peur : ne pas avoir le courage d’assumer sa petitesse pour se glisser dans la grandeur d’un amour.
Dans ce cataclysme des passions paradoxales, Max et Nora n’incarnent pas le grand amour, mais l’amour grandiose. Celui des doutes et des tourments, que l’on s’efforce de vaincre, à tâtons. Du bout des lèvres.
Ecrire à l’auteur: quentin.perissinotto@leregardlibre.com
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Glenn Savan
White Palace
Trad. de l’anglais par Isabelle Reinharez
Actes Sud, coll. «Babel»
528 pages
2007 [1987]