Article inédit – Jonas Follonier
Quelles leçons tirer des résultats du premier tour à la présidentielle française? Avant tout, celle d’une recomposition de la vie politique hexagonale autour de trois grands blocs: Macron-Marine-Mélenchon. La mécanique du vote utile peut l’expliquer. Mais pas seulement. Et une donnée essentielle ne doit pas être négligée dans l’analyse de la situation: le front anti-Macron pourrait être plus fort au second tour que ce qu’il reste de «front républicain». En ce qui concerne le futur à plus long terme, la droite classique n’est peut-être pas aussi morte qu’on le dit.
Emmanuel Macron à 27,9%, Marine Le Pen à 23,2% et Jean-Luc Mélenchon à 22%, bien devant Eric Zemmour à 7%, Valérie Pécresse à 4,8% et Yannick Jadot à 4,6%. Les résultats du premier tour à l’élection présidentielle française font ressortir trois grands gagnants. Cette situation témoigne à la fois d’une confirmation du duel de 2017 pour le second tour, mais aussi d’une reconfiguration des grandes forces du pays. L’espace politique hexagonal se clarifie ainsi autour d’un pôle Mélenchon pour la gauche affirmée, séduisant aussi bien les anti-capitalistes, les écologistes ou les woke; autour de Macron pour le centre social-libéral au sens large, réunissant progressistes de centre gauche et de centre droit; et autour de Marine Le Pen pour les souverainistes, nationalistes et, dans une moindre mesure, conservateurs.
Ce trio de tête ne tombe pas de nulle part. D’une part, il y a le phénomène du vote utile: les sondages, nombreux et omniprésents durant la campagne, ont pu pousser certains électeurs à opter pour le candidat qui avait le plus de chances de se qualifier face à «l’ennemi». L’ennemi étant Macron pour les uns, Marine pour les autres. D’autre part, les candidats ayant concentré les votes sont les plus rassembleurs et les plus clairs. Sur le deuxième point, par exemple, ce ne fut pas le cas d’un Jadot et encore moins d’une Pécresse. Zemmour est un cas spécial, car on ne pourrait lui reprocher d’avoir été confus (sauf peut-être sur la Russie). Sans doute n’a-t-il pas été rassembleur, au contraire de l’image que l’on retiendra de Marine Le Pen dans cette campagne: une femme proche des gens, y compris des musulmans, centrant son discours sur le pouvoir d’achat.
La mort des Républicains est à relativiser
Ces résultas montrent également, en miroir, l’échec significatif de Valérie Pécresse des Républicains et d’Anne Hidalgo du Parti socialiste. «Les deux partis qui ont constitué le paysage français pendant des décennies sont morts et enterrés», a lancé Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne. Irons-nous jusque-là? S’il est indéniable que droite et gauche classiques ne séduisent plus grand monde, on ne saurait mettre à égalité ces deux échecs. Non pas tant parce que Valérie Pécresse a fait deux fois plus de voix qu’Anne Hidalgo. Mais pour deux autres raisons. Premièrement, on avait déjà annoncé la mort des Républicains il y a cinq ans, et celle-ci ne s’est pas vérifiée dans les faits. Le parti compte encore un ancrage territorial extrêmement fort et la base militante la plus importante du pays.
Deuxièmement, les 20% d’électeurs qui ont voté François Fillon en 2017 (qui avait même été donné comme le favori avant le Penelope Gate et l’affaire des costumes) ne peuvent et ne pourront se retrouver ni dans le pôle Mélenchon, ni dans le pôle Macron, ni dans le pôle Le Pen. Zemmour, influencé par la très conservatrice et libérale Marion Maréchal, qui l’a rallié, a capté une part de leur suffrage au premier tour. Mais les plus modérés des libéraux-conservateurs ne sont pas prêts à le suivre dans ses idées les plus populistes pour la suite des événements, à commencer par les élections législatives. Et vu la drague dans laquelle Macron s’est lancé à gauche pour le deuxième tour, ces électeurs ne se convertiront pas tous non plus à la synthèse mouvante du président, même s’ils votent pour lui dimanche prochain.
Ainsi, quoi que disent ceux que le contraire arrangerait, il reste un espace idéologique entre le macronisme et le zemmourisme. Mais pour que cet espace soit politique, il faudra des personnalités fortes pour l’incarner. Et pour redonner de la consistance aux idées qui continuent de façonner la droite dite républicaine ou gaulliste: le travail, le mérite, la liberté, la responsabilité, le respect de la tradition. David Lisnard, le très en vue maire de Cannes, dans le sillage d’une philosophie tocquevillienne, a d’ores et déjà laissé entendre dans un tweet qu’il pourrait viser la reformation de cette droite avec son mouvement «Une nouvelle Energie». Permettons-nous d’y voir une hypothèse crédible. Mais c’est de la musique d’avenir.
En attendant, il s’agira d’observer ce qui sortira des urnes dimanche prochain. Le match Macron-Marine n’est pas exactement le même qu’en 2017. S’il y avait encore il y a cinq ans un «front républicain», consistant à faire barrage à l’extrême droite, on aura plus de la peine à l’observer cette fois-ci. Le mécontentement à l’égard du président sortant peut composer le véritable front de ce scrutin, unissant déçus de gauche, de droite et d’ailleurs. N’oublions pas qu’un quart des Français n’est pas allé voter le 10 avril. En ajoutant à ces abstentionnistes, qui pourraient cette fois se rendre aux urnes pour exprimer une opposition à Macron, la totalité des soutiens de Marine Le Pen et une part significative des électeurs de Jean-Luc Mélenchon ainsi que d’Eric Zemmour, Marine Le Pen a de réelles chances d’être élue présidente de la République.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com