Le Regard Libre N° 71 – Jonas Follonier
Aujourd’hui, nous seront fixés: le peuple aura tranché si, oui ou non, il doit être interdit de se dissimuler le visage dans les espaces publics en Suisse. L’initiative «Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage» demande à ce que soit interdite toute dissimulation du visage (burka, cagoule, casque de moto…) dans les rues, restaurants, commerces et autres lieux publics. Font exception les lieux de culte et les cas où des coutumes locales ou des motifs sanitaires, climatiques ou sécuritaires justifient de se couvrir le visage.
Le débat aura souvent tourné autour de la burka et du niqab, voiles islamiques recouvrant intégralement le visage des femmes (à part les yeux pour le niqab). Selon le Conseil fédéral, le fait que très peu de femmes portent le voile intégral en Suisse et qu’il est déjà punissable pour un homme d’imposer le port du voile à une femme est un argument suffisant pour rejeter l’initiative. Le Parlement opine du chef.
Toujours concernant le voile intégral, la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter aura tenu une position étonnante: «les femmes s’habillent comme elles veulent». C’est ce qu’on appelle une «pétition de principe»: ce débat consiste précisément à savoir si, oui ou non, se couvrir le visage dans l’espace public est anodin, si c’est une manière de s’habiller comme les autres. Or, au lieu de donner des raisons de penser que oui, la ministre n’a fait que l’affirmer. Ses adversaires, eux, ont des arguments à donner. N’en citons que deux pour l’instant: la burka manifeste une soumission de la femme à l’homme et une ostentation en public de l’islam politique, deux points montrant que ce n’est pas un habit comme les autres.
A lire aussi | Le débat sur la laïcité déchire Genève
Ne parlons même pas de l’argument économique de la même KKS (et de bien d’autres à droite), voulant qu’une interdiction de la burka démotiverait des touristes fortunés des Emirats arabes à venir dans nos stations: si l’économie prime sur tout, y compris l’humanisme le plus primaire sur nos chemins et nos montagnes, autant le dire tout de suite et les choses seront claires.
Mais le plus regrettable dans toute cette histoire aura été de dissimuler le thème du visage, justement. Quel que soit le nombre d’hooligans cagoulés ou de femmes portant la burka ou le niqab en Suisse, un objet constitutionnel est par définition une question de principe. Ne pas interdire le cannibalisme sous prétexte que cette pratique serait marginale n’est pas valable. Il en devrait aller de même avec cette votation.
Car au fond, telle est la question qui nous est posée: voulons-nous, en tant que société civilisée, assurer la présence des visages dans l’espace public? Comme l’écrit la philosophe Stéphanie Perruchoud dans nos colonnes ou l’ancienne conseillère nationale Suzette Sandoz sur son blog «Le Grain de sable», les mesures d’hygiène liées au Covid-19 nous ont rappelé à quel point nous sommes avant tout des corps. Et, plus précisément, que notre humanité se manifeste par nos visages.
Oublions les initiants, leurs arguments scabreux sur la criminalité et les affiches anxiogènes auxquelles ils nous ont habitués: c’est toujours le texte de l’initiative qui fait foi et celui-ci, au bout du compte, aurait mérité un débat de fond sur notre rapport au visage. Il n’a hélas pas eu lieu. En Suisse, on parle si mal de laïcité, d’universel, d’islam et de symboles. Pathétique!
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Image de couverture: Des femmes en burka avec leurs enfants à Herat, en Afghanistan (Source: Wikimedia CC 2.0)