Le Regard Libre N° 39 – Diego Taboada
Le populisme est devenu l’un des thèmes de prédilection des médias et des analystes occidentaux. Mais à quoi reconnaît-on le populisme? C’est ce qu’analyse Jan-Werner Müller, politologue allemand et professeur à l’université de Princeton aux Etats-Unis dans son récent ouvrage Qu’est-ce que le populisme? (Ed. Premier Parallèle, 2016) qui donne certaines clefs pour comprendre le phénomène.
Le terme de «populiste» est utilisé pour qualifier nombre de partis ou mouvements qui émergent depuis une vingtaine d’années et font désormais partie intégrante du paysage politique occidental. Défini par certains de manière positive comme une émanation de la politique moderne, ces mouvements génèrent plutôt de l’inquiétude aujourd’hui.
Mais qu’est-ce que le populisme? Il serait réducteur de le caractériser par le type d’électeurs que les partis populistes attirent ou par leur positionnement – gauche ou droite – sur l’échelle politique. Les exemples contemporains montrent que le parti populiste est protéiforme, surtout du point de vue idéologique. Le populisme peut être tantôt de gauche – Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce –, tantôt de droite – l’UDC en Suisse –, tantôt hybride – le Front national, en France, conservateur et réactionnaire sur le plan sociétal mais particulièrement protectionniste du point de vue économique. Selon Jan-Werner Müller, le populisme se reconnaît principalement dans l’affirmation qu’il est «le seul à représenter le peuple véritable».
Un danger pour la démocratie
L’auteur montre que les partis populistes prétendent avoir le «monopole moral» de la représentation. Ils représentent le peuple, qui est une entité pure et homogène par définition et en sont les seuls représentants légitimes. Le «vrai» peuple s’oppose aux élites, corrompues, accidentellement amenées à gouverner.
Ces partis sont souvent des mouvements contestataires, présents au parlement mais rarement à l’exécutif. Mais comment justifier l’incohérence de ne pas avoir été choisi par la majorité populaire si ce sont, de fait, les élus du peuple? Eh bien, tout simplement, le populiste se targue de représenter «la majorité silencieuse», celle des masses qui ne se prononcent pas. Et remet ainsi en question la valeur d’un scrutin manipulé par les élites corrompues, amenés au pouvoir à travers une procédure douteuse et non représentative de ce que souhaite le peuple véritable.
C’est pourquoi aucune légitimité n’est accordée à leurs opposants politiques. Ceux-ci sont des imposteurs et ne peuvent pas émaner de la volonté du peuple. Le refus de Viktor Orban, premier ministre hongrois, de participer aux débats avec des membres d’autres partis est révélateur de la vision qu’ont les populistes de la démocratie: la discussion est inutile et même néfaste, car ils sont les seuls aptes à représenter et servir les intérêts du peuple.
Quel est le risque de tels mouvements pour la démocratie? En construisant l’image d’un peuple avec un corps homogène, une volonté commune et un représentant unique, ils nient le pluralisme et la diversité inhérents à toute société. Cette conception de la politique entre en collision avec l’idéal de la démocratie, qui est pluraliste par essence.
C’est une fois au pouvoir que se révèlent les dangers des populismes. Les expérimentations contemporaines montrent une dérive autoritaire inévitable tant du point de vue théorique que pratique. En effet, pourquoi intégrer politiquement l’opposition, si celle-ci n’est aucunement légitime? Comment accepter des critiques alors que le pouvoir agit uniquement pour le bien du peuple? Poutine, Erdogan et Orban, pour ne citer que les plus représentatifs, ont montré comment un pays peut se transformer lorsque les populistes arrivent à sa tête. Le populisme est un danger pour la démocratie dans la mesure où il ne conçoit pas la pluralité des points de vue.
Combattre le populisme
Le populisme est un phénomène de plus en plus répandu et qui ne provient plus seulement de nouveaux mouvements contestataires mais qui se développe aussi au sein même des partis traditionnels. Donald Trump était avant toutes choses le candidat officiel des Républicains. L’UKIP a mené campagne pour le Brexit en s’appuyant sur une aile importante du parti conservateur. En France, la nouvelle direction des Républicains mise sur un discours plus populiste et essaie de remonter la pente en adoptant une ligne identitaire qui n’est pas sans rappeler le discours du Front National. Il semble que la reproduction des méthodes populistes est le moyen qu’ont trouvé ces partis pour faire face au transfert de leurs électeurs. Mais entrer dans cette même logique par opportunisme électoral est une erreur qui n’aidera pas à éradiquer le virus populiste. Au contraire, c’est une raison de plus pour légitimer ces mouvements.
La majorité du monde politique traditionnel présente par ailleurs les partisans de ces mouvements comme des individus réagissant avec ressentiment à leur situation et qui sont attirés par des idées simplistes. Infantiliser un électorat et lui nier la capacité de faire des choix réfléchis et conscients ne constitue pas non plus une solution satisfaisante. Au lieu de décrédibiliser ces partis, il faut prendre ces mouvements au sérieux pour mieux les combattre. La critique des élites, de la corruption ou de la gestion économique n’est pas toujours synonyme de populisme et permet au contraire d’assainir et de rendre vivante la démocratie. Ceux qui se présentent comme le dernier rempart contre le populisme doivent s’attaquer aux problèmes, aux causes qui ont poussé les gens à se tourner vers ce type de mouvements. Proposer des solutions viables et concrètes constitue le seul moyen pour détourner les citoyens de ces partis. Il est essentiel de ne pas entrer dans le jeu de ces mouvements, pour qui le fond importe peu, et gagner sur le plan des idées.
Jan-Werner Müller donne une explication clairvoyante qui permet de mettre en exergue ce que les mouvements populistes ont en commun et ce qui les identifie conceptuellement. Le populisme est une menace pour la démocratie mais une manière de faire de la politique qui est bien présente dans nos sociétés. Plutôt que de caricaturer les partis et leurs votants, il s’agit accepter leur existence sans la normaliser et de mettre en évidence leurs contradictions sans reprendre leur mode de fonctionnement.
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