Les mercredis du cinéma – Jonas Follonier
Eva est la seconde adaptation cinématographique d’un roman noir écrit par l’auteur britannique James Chase et sorti en 1945. L’ouvrage avait déjà été porté à l’écran par Joseph Losey en 1962, avec Jeanne Moreau dans le rôle de la protagoniste. Cette fois, c’est le réalisateur français Benoît Jacquod qui s’est lancé le défi de ce que lui-même ne considère pas comme une véritable adaptation, ne s’étant basé que sur ses souvenirs de lecture comme point de départ du scénario.
Eva (Isabelle Huppert) est une prostituée de province dont la vie se croise soudain avec celle d’un imposteur, Bertrand Valade (Gaspard Ulliel). Le bel homme est un jeune auteur dont le succès provient du vol d’un manuscrit. Difficile pour lui d’écrire son prochain ouvrage, qu’il doit rendre prochainement à son éditeur (Richard Berry). Il va alors penser trouver de l’inspiration dans une aventure malsaine qu’il provoque avec cette prostituée de luxe aussi intrigante que détachée.
Des acteurs entiers pour un scénario incomplet
Pour ce film qui prend d’entrée les allures d’un thriller psychologique, on sent que le réalisateur a tout misé sur les acteurs et leur composante mystérieuse. Une erreur, sans doute, pour le spectateur, qui attend à juste titre qu’on lui raconte une histoire. Le film pèche par un manque évident d’intrigue. Le scénario ne semble pas être à la hauteur des acteurs, qui font tout pour relever le niveau, offrant un jeu intéressant.
Isabelle Huppert signe sa sixième collaboration avec la réalisateur Benoît Jacquod. Ce qui caractérise son talent d’actrice se retrouve ici: un effacement redoutablement efficace, la rendant plus présente encore. Cette manière particulière de jouer convient bien à l’atmosphère du long-métrage, flirtant avec le surréalisme. Gaspard Ulliel, quant à lui, confirme sa singularité qui l’avait porté dans le rôle d’Yves Saint Laurent. Si son perpétuel murmure peut déranger, son regard et sa classe s’imposent et font oublier son côté «acteur français actuel qui se la joue cool».
Un bilan mitigé pour la réalisation
Si la première scène relève d’un cinéma très réussi, la suite repose sur une scénographie peu inspirée. Repérant la récupération de quelques éléments classiques du genre, comme la bande-son inquiétante, le motif du bain ou encore la présence d’une maison isolée, le cinéphile aura de la peine à remarquer une grande innovation au niveau de la forme, qui n’hésite pas par ailleurs à se faire suivre parfois des scènes avec un empressement que l’on peut interroger. La fin, surtout, laisse le public sur sa faim.
On l’aura compris, partant de données prometteuses comme la différence d’âge entre les deux protagonistes principaux et le traitement psychologique d’une relation aussi sibylline que toxique, les défauts de la narration ne font finalement ressortir que le caractère ridicule de cette chimère amoureuse et mondaine. Certes, on pourra dire avec Télérama qu’on «ne connaît jamais les raisons de fascination qu’exerce un être sur un autre». Cette réalité, le film aura réussi à s’en emparer pour proposer un film intrigant, mais sans intrigue.
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