Les mercredis du cinéma – Antoine Bernhard
L’âge semble ne pas pouvoir l’atteindre. Clint Eastwood revient encore et une fois avec son traditionnel film annuel. Cette fois, il se penche sur l’histoire de Richard Jewell. Un homme sans histoire, archétype du héros déchu, précipité en Enfer par une machine politico-médiatique sans scrupule. Clint Eastwood dit: «L’histoire de Richard Jewell m’a intéressé parce que c’était quelqu’un de normal, un Monsieur tout-le-monde. Il n’a jamais été poursuivi, mais il a été largement persécuté.»
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Pour bien aborder le film, il convient se pencher sur la personnalité intrigante du protagoniste. Ancien membre des forces, Richard Jewell est intellectuellement un brin limité. Il est mu par une bonne volonté sans faille qui le conduit, malheureusement, dans des attitudes parfois étranges dans le but de retrouver un rôle au sein des forces de l’ordre. Par son innocente naïveté, il incarne la figure infantile par excellence: celui qui rêve de devenir policier mais dont tragiquement, tous les excès de zèle sont autant de raisons d’alimenter les soupçons du FBI.
Héros d’un instant
27 juillet 1996. Une bombe artisanale explose dans le parc olympique des jeux d’Atlanta. Le parc était pourtant sous haute surveillance policière. L’explosion fait une centaine de blessés et deux morts. La déflagration aurait dû faire bien plus de morts mais un banal agent de sécurité ayant remarqué le sac suspect a pu donner l’alerte à temps. L’évacuation avait déjà débuté. Qui est cet agent de sécurité inconnu? Le personnage reste d’abord anonyme. Mais rapidement, les médias découvrent son identité: Richard Jewell.
Il est célébré en sauveur, en héros. L’enquête du FBI s’enlise, il faut un coupable. On suspecte alors Jewell. Il correspond malgré lui au profil parfait du poseur de bombe en quête de reconnaissance – à l’image du pompier-pyromane. L’information fuit. La presse s’en empare. Jewell devient ennemi public numéro un. Il est surveillé, lynché, harcelé; sa vie devient un enfer. Il est innocenté quatre-vingt-huit jours plus tard, faute de preuves.
Clint Eastwood réalise ce nouveau biopic avec beaucoup de finesse. La réalité historique du cas Jewell et la fiction s’articulent harmonieusement. Le rythme et la photographie sont remarquables. Malgré un film de plus de deux heures et quelques lourdeurs, le réalisateur illustre encore une fois sa totale maîtrise du septième art et signe un film intéressant du début à la fin. A noter la bande originale signée Arturo Sandoval – fameux trompettiste – qui fournit même un prétexte pour ne pas quitter la salle avant la fin du générique de fin.
Les médias en question
Serait-ce donc simplement un film à l’américaine? L’histoire d’un «gentil» face à ses «méchants» bourreaux? Certainement pas. Au-delà d’une simple narration, Clint Eastwood dénonce férocement les médias qui sont à la racine de l’ampleur colossale qu’a prise l’affaire Jewell. A noter à ce propos la présence quasi caricaturale de Kathy Scruggs, une journaliste prête à vendre son corps pour un scoop.
Les médias jouissent d’un immense pouvoir. L’affaire Jewell manifeste combien ils peuvent à leur guise modeler la réalité. Combien l’avidité presque sanguinaire des journalistes peut être destructrice. Combien la volonté de faire sensation – et par conséquent de faire de l’argent – ravage tout sur son passage, ignorant respect ou dignité humaine. Ceci parce que les médias n’ont pas le courage de s’élever au-dessus des besoins vils de la foule qui, pour étancher sa soif frénétique de catharsis, recherche constamment ses héros ou ses anti-héros, à révérer ou à déchiqueter.
Dès lors, la question se pose. Quel est le rôle des médias? Que font-ils de leur immense pouvoir? La presse peut-elle se contenter, au gré des modes et des tendances, d’un rôle purgatif? L’interrogation demeure plus actuelle que jamais…
Ecrire à l’auteur: antoine.bernhard@leregardlibre.com
Crédit photo: © Warner Bros Entertainment