Pour son huitième film, Albert Dupontel nous plonge dans un thriller politique, tout en conservant ses habitudes comiques et poétiques. Un programme qui promet un haut taux d’abstention.
Le candidat Pierre-Henry Mercier (Albert Dupontel) ressemble à tous les autres candidats. Mais lorsque la journaliste Pove (Cécile de France) et son cameraman Gus (Nicolas Marié) commencent à se pencher sur ses fréquentations, ils réalisent que cette élection risque de prendre des airs de révolution. Sur cette base, Second Tour propose un film riche en rebondissements comme en mélange des genres. Il multiplie les points de vue, les messages politiques forts, les moments de poésie, les drames familiaux et les instants comiques. Tout cela paraît trop à l’étroit dans un film d’une heure trente.
Les humeurs de Dupontel
Avant tout, le film peine à nous garder. Trop souvent, il suit ses propres intentions, et laisse le public dans sa perplexité. On sait que l’on aura l’explication plus tard, que l’on comprendra l’importance d’un flash-back dans des scènes futures, mais on ne peut s’empêcher d’avoir le sentiment que le film n’est pas ce que l’on voit. Le film, c’est ce que l’on verra plus tard. Tout le reste n’est que préparation. Le découpage du récit, ponctué de retours en arrières souvent malvenus, témoigne d’un problème d’écriture, surtout lorsque les dialogues s’enfoncent dans des poncifs écologiques gênants. Dupontel enfonce des portes ouvertes sans réussir à vraiment éveiller l’intérêt du spectateur sur ses sujets.
C’est que Dupontel flotte depuis quelque temps dans un monde parallèle. Un monde manichéen, où les financiers d’un homme politique préféreront le tuer plutôt que de se voir trahir. Un monde paradoxal où les Français ne portent aucun intérêt pour l’écologie, mais sont immédiatement touchés lorsqu’un homme politique parle de la disparition des abeilles. Un monde étrange, où le peuple peut être à la fois tout blanc et tout noir, tant Dupontel érige des généralités qui semblent surtout dépendre de son humeur. Second Tour manque cruellement d’une relecture. Voire de plusieurs.
Convaincre les indécis
Malgré ces faiblesses, il faut reconnaître une qualité à Dupontel: après trente ans de réalisation, il continue à nous enchanter par son imagination. Si son écriture est ratée, le savoir-faire en termes de mise en scène est bien là. Certes, ses propositions ne sont pas au goût de tout le monde. Mais c’est que la caméra de Dupontel tourne le dos à l’auteurisme français pour privilégier le divertissement américain. C’est ainsi que Dupontel s’amuse: ses plans cherchent des reflets, des jeux de lumière, des angles originaux. La caméra explore sans cesse les possibilités. Des possibilités aujourd’hui accrues par le numérique. Avec cela, Dupontel est un meilleur héritier du cinéma de Jean-Pierre Jeunet que Jean-Pierre Jeunet lui-même.
D’aucuns diront que sa réalisation, avec ses effets et cadrages tape-à-l’œil, est finalement aussi lourde que son écriture. On ne pourra leur donner tort. Mais tout le cinéma de Dupontel est une longue quête vers quelque chose de terriblement simple: apprendre à aimer. Pour cela, il ne s’agira jamais de mettre en avant des personnages lisses et conventionnels. Son cinéma nous présente ses marginaux, des personnages parfois méchants, parfois idiots, acariâtres, dépressifs, colériques, des personnages toujours mis au ban, et qu’on ne peut réintégrer que par la force du cinéma, cette force qui nous pousse à l’empathie.
On le sait depuis les premiers Chaplin qui rendaient sympathique son personnage pourtant souvent égoïste et moqueur. On a voulu que Tony Montana et bien des truands échappent à la police, dès 1932, et en 2019, avec Les Misérables, on a espéré que ces policiers coincés dans un immeuble s’en sortent eux aussi. Un point culminant a été atteint avec The Devil’s Rejects, qui nous a fait ressentir de l’empathie pour une famille de tueurs psychopathes. Dupontel ne va pas jusque-là, il nous fait seulement aimer les marges, comme il aime le cinéma.
C’est pourquoi il est facile de pardonner ses faiblesses. Malgré ses maladresses, Second Tour fait preuve de beaucoup de sincérité et donc d’honnêteté. Il cherche toujours à nous amuser, à nous faire rire, à nous toucher, à nous surprendre, à nous faire aimer. C’est ainsi qu’on se retrouve face à deux Dupontel, qui, dans un jeu métaphysique authentique, mettent deux fois en scène l’acteur à travers des jumeaux.
Un Dupontel veut changer les choses. Il a intégré le système pour y arriver mais est devenu cynique et désabusé. Un autre Dupontel est resté à la marge, un peu dadais, il cultive son miel et aura conservé son innocence. Second Tour met en scène ces deux personnages, comme il a été écrit par eux deux. C’est pour cela que le film semble trop souvent confus. Dupontel l’auteur, comme Dupontel le personnage-candidat, s’est perdu dans un milieu et un sujet qui le dépassent. Il est mal à l’aise, loin de son élément, comme s’il se serait senti forcé de répondre à une invitation cannoise.
Que sera la suite de Dupontel? Il devra choisir entre s’entêter dans son combat contre le monde caricatural dans un élan don quichottesque, ou se préserver et continuer de porter à l’écran ce qu’il aime pour nous inviter à notre tour à l’aimer. Second Tour a au moins le mérite de nous offrir une réponse à cette question, et pour cela, il vaut la peine d’être vu. Il restera à la marge de la filmographie de son auteur, mais heureusement, ce dernier nous a appris à aimer les marges.
Ecrire à l’auteur: jordi.gabioud@leregardlibre.com