Voilà plus d’une décennie que les films de super-héros sont lâchés au public comme une longue série de conserves de soupes Campbell’s. Black Adam parvient pourtant à mêler fadeur et laideur pour renforcer encore la frontière entre cinéma et opportunisme. Retour sur un naufrage à 200 millions.
Dans un monde imaginaire du Moyen-Orient, un super-héros (Dwayne Johnson) se réveille pour lutter contre l’Intergang, une sorte de milice assez méchante pour justifier les violences engendrées contre son régime. Sur cette base simpliste, le film tente de complexifier son intrigue à grands coups d’interventionnisme maladroit des forces occidentales, de flashbacks artificiels et de plagiat de Terminator 2 à base d’amitié bizarre entre le héros et un enfant.
Une accumulation de défauts
Commençons par le plus flagrant: le film est laid. L’image oscille entre le trop sombre, le trop clair et le trop terne. Mais plus encore, ce sont les incrustations qui écorchent les yeux. Les personnages semblent souvent avoir été ajoutés trop vite dans un décor numérique artificiel. Les frontières entre le personnage et l’univers numérique sont parfois hallucinantes, tant aucun effort n’est fait pour les dissimuler. Trop peu d’effets numériques s’avèrent aboutis; la plupart offrent une bouillie d’informations approximatives à l’œil du spectateur. Et ne parlons même pas de la direction artistique avec des démons ridiculement animés, des décors sans imagination et un antagoniste final rendant hommage à Luis Buñuel tant il donne envie de s’ouvrir les yeux au scalpel.
Mais le film propose une solution pour remédier à cela : comment se rendre compte que ces plans sont affreux s’ils ne durent pas plus d’une seconde? Une solution qui ne permet pourtant pas de masquer les fautes de goût, puisque de trop nombreuses exceptions à cette règle s’imposent sous forme de ralentis qui parsèment le long-métrage. Un effroi nous gagne lorsque l’on comprend qu’à ces moments, le réalisateur croit faire du bon travail.
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Ce montage dessert une narration qui se retrouve expédiée sans que l’on ait la possibilité de s’attacher au moindre personnage. Tout doit aller vite pour aboutir à quelques scènes de combat accompagnées de musiques indigestes qui font référence à un DJ sous substances, sautant d’un morceau à l’autre dans le seul but de faire de disgracieux clins d’œil à son public, comme pour diffuser tout son catalogue en deux maigres heures.
La cerise sur le gâteau consiste sans doute dans les deux seuls moments où les scénaristes se croient audacieux en proposant une critique de la politique étrangère américaine et plus largement occidentale. Une première fois, les super-héros américains se voient reprocher le fait de ne pas être intervenus plus tôt. Une seconde fois, on leur demande de se tenir éloignés du pays. Dans sa volonté critique d’adolescent, le film réussit ainsi l’exploit de se contredire tout seul. Seul point positif au long-métrage, un Dwayne Johnson dont le jeu correspond très bien au personnage incarné.
L’impasse du blockbuster
Black Adam n’est pas seulement au bout d’une impasse artistique comme industrielle. Il s’emploie à tenter d’en sortir en traversant le mur qui lui fait face. C’est le constat d’une industrie tournant à vide, produisant éternellement les mêmes copies dont on ne change que quelques nuances sans jamais revoir la formule de base. Mais que cherche encore le public qui remplira les salles de ce film?
L’offre du blockbuster repose à l’origine sur le spectaculaire. On veut voir de l’action, des affrontements impressionnants, des décors majestueux, des émotions intenses. Le blockbuster est un cinéma de l’hyperbole. En ce sens, ce type de films nécessite un temps et des compétences pour assurer une forme et un ton susceptibles de faire frissonner le spectateur.
Black Adam, dans la lignée de la plupart des films de super-héros, contredit aujourd’hui ce principe. Le spectaculaire est sacrifié au profit d’un agenda bâclé. Lequel ne laisse aucun temps pour un traitement complet des effets numériques. De même, la pauvreté des protagonistes montre bien l’impasse que le blockbuster a rencontrée. La dimension sérielle de ces films a déplacé le pacte passé avec le spectateur: on ne vient plus rechercher des frissons, on vient seulement mettre nos connaissances à jour en attendant le prochain grand rendez-vous qui réunira tous ces personnages. En attendant, on espère que ça ne sera pas trop mauvais.
Le genre du blockbuster super-héroïque passe ainsi son temps à s’auto-citer. C’est sa seule force, la seule raison pour laquelle le public remplit encore les salles. Le cinéma n’est plus spectaculaire, il est devenu une école de pop culture où il s’agit d’apprendre régulièrement ses leçons, en espérant être diverti. Mais heureusement, toute culture a sa mode. Et il n’est qu’une question de temps – peut-être cinq ans? peut-être dix? – pour que les nouvelles générations s’interrogent avec une moquerie justifiée sur notre goût pour ces produits dépassés. Alors, saluons Black Adam, qui, à son crédit, détient la possibilité d’accélérer cette libération.
Ecrire à l’auteur: jordi.gabioud@leregardlibre.com
Image: Black Adam © Warner Bros. Entertainment Inc.
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