Les mercredis du cinéma – Loris S. Musumeci
«Si tu vas en prison, est-ce que je pourrai prendre ta chambre?»
De la lumière du soleil, à l’obscurité d’un tribunal. 7 juin 2016: Lise profite des jeux de la plage, des joies de la mer, sous le regard d’une caméra discrète et éloignée. Deux gendarmes arrivent. La jeune fille part avec eux. C’est ainsi que s’ouvre la tourmente d’une adolescente. On la soupçonne d’avoir assassiné sa meilleure amie, Flora, retrouvée ensanglantée le matin même dans son lit.
Depuis deux ans maintenant, Lise porte un bracelet électronique à la cheville. L’heure est au procès. Face à une fille silencieuse, confuse, peu collaborative et aux mœurs controversées, quelle sera la décision de la cour? Mais surtout, comment jugera-t-elle? Sur quelles considérations se basera-t-elle? La Fille au bracelet est un puzzle infernal, où chaque pièce découverte provoque chez le spectateur une angoisse croissante ainsi qu’un vrai désir de connaître la vérité. Pour comprendre enfin la psychologie d’une jeune de dix-huit ans, peut-être meurtrière.
La jeune fille étouffe
Le film se déroule sur plusieurs jours de procès. Quasiment toutes les scènes se situent au tribunal. A l’exception de quelques moments où on assiste à des passages de la vie quotidienne de Lise. Au vu de la situation, elle a été déscolarisée, chacun de ses mouvements est surveillé par la police, son père est à cran tout en voulant la soutenir, sa mère semble avoir tout lâché. La jeune fille étouffe. On ne le voit pas, mais on le comprend. Elle a besoin de vivre, de jouir, de se libérer, mais ça bloque. Trop de pression.
Si les scènes en question de la vie quotidienne sont utiles pour tâcher de pénétrer la psychologie de la protagoniste plutôt hostile et résolument fermée, blessée, elles ne marquent néanmoins pas un point de réussite du film. Je dirais même qu’elles sont ratées. C’est souvent le problème avec les réalisations françaises qui veulent donner à leurs scénarios et à leurs dialogues une allure plus réaliste que réaliste. Ça ne passe pas, point. Ces scènes ont tout du téléfilm superficiel, répétitif et mal filmé.
Rouge, rouge, rouge
Mais le réalisateur, Stéphane Demoustier, a eu plus tact avec les scènes de tribunal. A commencer par le choix du lieu. La salle d’audience est excellente dans les réactions qu’elle provoque, comme dans sa symbolique qu’elle amène ou dans sa mise en scène qu’elle permet. Rouge, rouge, rouge. Tout est rouge. Toute la salle est tapissée de dalles rouges. Cette couleur envahit tout, du plafond au sol, jusqu’aux bancs. Rouge sombre, envahi de petits trous – vive l’architecture moderne! – qui rendent le lieu étouffant, qui vont jusqu’à donner mal à la tête.
Et qui dit rouge, dit passion amoureuse. Qui dit rouge, dit sang, mort. C’est exactement le cadre de la relation qu’entretenaient Lise et Flora. Deux meilleures copines, qui devenaient également amantes lors de nuits de plaisir, notamment celle avant le meurtre. Deux meilleures copines, qui se sont brouillées pour une histoire, somme toute grave, de vidéo pornographique. «Je vais la tuer.» Propos qu’aurait tenu Lise aux égards de Flora, après que cette dernière a publié sur les réseaux une vidéo qu’elle a elle-même filmée de son amie faisant une fellation à un copain de classe commun, devenu par ailleurs le petit-ami de Flora ensuite.
Dans la mise en scène, c’est moins le rouge qui est intéressant que les vitres qui séparent l’accusée du reste de la salle. Lise est seule face à son accusation. Elle est seule face aux juges. Bien sûr, elle a une avocate, mais un avocat, ça n’est jamais que quelqu’un qui exerce son métier: celui de défendre un accusé par la loi face à la loi. Quand la caméra filme la jeune fille derrière la vitrine, comme dans un fondu-enchaîné, on voit au centre son visage, entouré des reflets des visages dans la salle. Visages qui perdent espoir tout en essayant d’y croire encore, comme celui du père; visages rongés par l’acidité des larmes et la colère, comme celui de la mère de la victime.
Au-delà du meurtre
Lise, seule. Face à des accusations qui vont au-delà de la seule question du meurtre. «Pourquoi n’avez-vous pas semblé surprise lors de l’interpellation des deux gendarmes sur la plage?»; «Pourquoi n’avez-vous jamais montré ni compassion ni tristesse à l’égard de le victime?»; «Vous arrive-t-il souvent de faire des fellations à des garçons qui vous le demandent, en étant filmée?»; «Etes-vous ce que l’on peut appeler une fille facile?» De La Fille au bracelet, on passe à L’Etranger d’Albert Camus où le personnage principal, Meursault, est davantage accusé de n’avoir pas pleuré à l’enterrement de sa mère que d’avoir tué un homme.
Le procès de Lise devient un procès entre les générations, qui ne se comprennent pas. Un procès pour froideur, un procès pour libertinage. Un procès d’amitié. «Si vous étiez vraiment amies, pourquoi suciez-vous le pénis de ce garçon dont vous saviez que Flora était amoureuse?» La jeunesse est perdue dans son monde; la justice s’y perd aussi en voulant l’explorer. Relations compliquées, amer mélange de baisers et de pulsions de mort, qui ne disent qu’une chose: la vérité des faits se cache dans le secret des âmes. Et personne n’y a accès.
Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com
Crédit photo: © Praesens-Film