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«Les Veuves», un film féministe, mais pas que4 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Les mercredis du cinéma – Loris S. Musumeci

«Je voulais juste savoir comment vous alliez après la perte de votre mari.»

Les portraits de quatre vies familiales se succèdent, entrecoupés d’une scène de cambriolage assez chaude et mouvementée. Les quatre familles sont celles des quatre braqueurs. Ces derniers, pris la main dans le sac, sont cernés par les forces de l’ordre après une course-poursuite. L’épisode se termine en coups de feu de la part d’une police acharnée. La mort des quatre bandits laisse désormais place à quatre veuves. Malgré le deuil, elles ne sont pas au bout de leurs peines. La mafia afro-américaine locale tient à ce que ces quatre femmes leur remboursent des dettes

Un film féministe

Au vu du synopsis, on imagine directement qu’on a affaire à un film féministe, avec les lourdeurs que cela implique. D’autant qu’il s’agit en grande partie d’un film d’action. Une précision s’impose: ce ne sont pas les films féministes qui sont lourds, ni même les films d’action. Cependant, quand le septième art mêle ces deux genres, il ne peut souvent pas s’empêcher la surenchère; en multipliant les plans de femmes fatales en petite robe sexy et pistolet à la main. Suffit-il de songer à la série Charlie’s Angels (Drôles de dames) ou aux films Ocean’s.

Les Veuves donne a priori à penser qu’en effet le spectateur va se retrouver assailli de séquences au ralenti avec quatre femmes qui marchent côte à côte, les cheveux au vent, lunettes de soleil bien posées sur le nez, chaussées par des bottines d’espionnes et ornées de flammes en arrière-plan. Il se trouve cependant que Steve McQueen a choisi de réaliser un film plus subtil.

Certainement, il y a féminisme, mais amené d’une manière habile et réfléchie. Les quatre femmes en question sont fortes, courageuses et astucieuses. Elles sont belles. Et fragiles. Parfois, elles cèdent aux larmes, comme elles croulent momentanément dans la peur ou le désespoir. La finesse dans la construction de ces quatre personnages couvre le film de crédibilité, de justesse, et valorise vraiment les femmes.

2018 Twentieth Century Fox Film Corporation (3)

L’excellente Michelle Rodriguez et la sublime Elizabeth Debicki dans «Les Veuves», un film de Steve McQueen, © Twentieth Century Fox

Il ne faut pas oublier en outre que le réalisateur s’attaque à un sujet qui peut apparaître aujourd’hui quelque peu désuet, à savoir le veuvage. Oui, une épouse peut tout à fait s’en sortir sans mari, cela va de soi. Le film a néanmoins l’audace de montrer à quel point tout se complique lorsqu’une femme perd son époux et doit prendre en charge à elle seule les enfants. Aussi, la thématique du veuvage donne d’emblée au long-métrage sa dimension tragique.

A ce propos, on note une originalité louable de la part du réalisateur qui a offert sur l’écran différentes expériences du tragique selon les cultures familiales des veuves, notamment à travers les rites funéraires. De la sobriété blanche et protestante pour honorer les dépouilles du chef de gang, on passe sans transition à l’agitation toute catholique, passionnelle et hispanique de l’enterrement de l’un des membres du groupe de criminels. En fait, les portraits des quatre femmes sont complétés par la culture d’origine du mari de chacune.

Sans manichéisme

En parallèle, pour un premier temps, le spectateur assiste à une autre histoire: celle d’une élection présidentielle qui se trame à la mairie d’un quartier populaire de Chicago. Un candidat blanc affronte un candidat noir. Deux mondes, deux cultures, deux manières d’envisager la foi. En somme, deux styles bien différents. Là encore, le film fait preuve d’intelligence.

Il ne laisse de fait aucune place au manichéisme qui réduirait le candidat blanc à un riche bourgeois raciste et corrompu, et élèverait le candidat noir à un pauvre représentant des minorités, honnête et victime des magouilles de son adversaire. Les deux sont légitimes. Le scénario les montre, chacun à leur tour, touchants et vrais; comme il les montre aussi en escrocs quand il s’agit d’argent.

Un travail formel efficace

Si Les Veuves est remarquable au niveau du fond, la forme n’est pas en reste. Même si certains procédés, comme celui de filmer les personnages à travers les reflets d’un miroir ou d’une fenêtre, sont un peu pénibles, trop répétés et pas forcément très efficaces, il faut reconnaître à Steve McQueen le mérite d’avoir opéré une recherche esthétique pour un genre de cinéma qui s’en passe en principe. D’ailleurs, il est parvenu à rendre la caméra très fluide dans ses mouvements, et les images sont agréables à regarder.

La forme a encore des qualités à offrir du côté de la musique et du son qui accompagnent les lieux en créant d’authentiques ambiances. C’est sans doute l’un des points techniques les plus appréciables du film. Chacune des veuves a un profil marqué et bien différent des autres. Chaque famille est différente; chaque milieu; chaque communauté; chaque intimité. Tout cela participe à créer des ambiances différentes qui, au début, distinguent précisément les quatre femmes pour les acheminer ensuite vers une quête commune.

Les Veuves, enfin, raconte dans son ensemble que rien ne peut être récupéré du passé. Et que, oui, la souffrance d’une veuve est réelle. Et que, non, il n’y a pas de solution à tout. Ce qui n’empêche pas ces quatre femmes merveilleuses de se battre, de s’aider, de se sacrifier, de se donner, de changer et de résister, pour préserver leur dignité, qui, elle, ne se négocie pas.

«Je me laisse plus traiter comme de la merde, ni par toi ni par personne.»

Ecrire à l’auteur : loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo : © Twentieth Century Fox

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