Et si le monde nouveau était celui du cannibalisme? Mais attention, un cannibalisme sain, consentant, via des méthodes d’ablation chirurgicales strictes. Que feriez-vous? C’est ce que nous propose Christophe Carpentier, dont voici le dixième roman, paru au Diable Vauvert.
Quand Jérôme, patron du CAC 40 en plein burn-out, se voit approché par Edwige, chirurgienne excentrique, il ne s’attend pas à ce qu’elle lui propose de démarrer avec elle un business aussi sanglant. Tous deux se lanceront dans un commerce fleurissant, dont l’immoralité n’a d’égale que la rentabilité.
Quand capitalisme rime avec cannibalisme
Le voilà, le nœud du roman: l’argent. Tellement d’argent, d’ailleurs, qu’il est difficile d’y résister. Les plus pauvres commencent à se vendre pour payer les traites de la maison, tandis que les plus riches le dépensent pour effleurer l’envolée des premières fois, des premiers interdits.
Cependant, là où les premiers seront naturellement limités à un certain moment, les seconds, comme tout drogué, deviendront inarrêtables. L’auteur nous sert d’ailleurs ici une idée intrigante: cette viande rend accro. Mais si l’argent en masse permet de couvrir n’importe quelle autre addiction, que faire quand il s’agit de viande humaine?
«L’argent dévalorise toute chose. L’argent rend tout plausible, mais sans accéder à la vérité des êtres. Silence méditatif. Où se situe la grandeur révolutionnaire d’un cannibalisme monnayé?»
A buffet froid, écriture glacée
Le roman est étrangement construit presque exclusivement autour du dialogue, comme une pièce de théâtre. Hormis les présentations de «tableaux» faisant office de chapitres, le texte ne tient qu’aux échanges entre les protagonistes. Le procédé aura beau paraître intéressant, voire novateur pour certains, il n’en reste pas moins un cache-misère reprenant la forme, mais pas le fond de ce style.
Force est de constater que Christophe Carpentier ne sait pas comment gérer son idée, et élude donc une bonne partie des questionnements, des débouchés, et des problématiques que son concept amène avec lui.
Comment expliquer, par exemple, la facilité avec laquelle tous les protagonistes présentés, et le monde entier ensuite, versent dans la pratique anthropophagique? Certes, la métaphore est là: l’homme se trouve au bord du précipice et il ne lui manque que l’impulsion. Mais il n’empêche que d’un point de vue strictement narratif, cela ne tient pas.
Viande snackée, occasion manquée
L’humour du roman est ce qui devrait le rendre captivant, nous tenir en haleine. Cependant, celui-ci ne sait pas sur quel pied danser et se retrouve coincé entre des dialogues à la Blier mal réchauffés et des moments d’absurde qui ne prennent pas.
Le sujet avait pourtant tout pour être hilarant et percutant, on pense notamment à l’excellent Barbaque de Fabrice Eboué sorti l’année dernière, qui, lui, alliait concept similaire et parti-pris noir total. Dans le cas présent, passé la surprise des procédures de consentement, le roman glisse vite dans le classicisme des dystopies «à concept» et ne maîtrise plus son sujet.
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Quel dommage, lorsque l’on souhaite critiquer ses contemporains, de tomber dans les mêmes frasques qu’eux en proposant un récit qui fera plus parler de lui pour son thème que pour sa qualité.
Ecrire à l’auteur: mathieu.vuillerme@leregardlibre.com
Crédit photo: © Pixabay
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Christophe Carpentier
Carnum
Au Diable Vauvert
2022
188 pages