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«Ennemi de Dieu»: le titre était prometteur5 minutes de lecture

par Le Regard Libre
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Les bouquins du mardi – Amélie Wauthier

Généralement, je me laisse guider par la couverture des livres pour arrêter mes choix en librairie. Un auteur que j’affectionne, une image racoleuse, un titre alléchant. Je ne lis jamais la quatrième de couverture, j’ai horreur de savoir où je mets les pieds. J’aime le goût du risque. Me jeter dans l’inconnu. Si l’ennemi de mon ennemi est mon ami, Ennemi de Dieu et moi étions faits pour nous aimer. En théorie. La prochaine fois, je lirai le synopsis. Ou du moins, juste quelques lignes…

Un type, on ne sait trop qui, est en prison, on ne sait trop pourquoi. Enfin, il était en prison, parce que maintenant, ce n’est plus le cas. Ils l’ont libéré, bien qu’il ne se soit jamais senti moins libre qu’aujourd’hui. Qui l’a libéré? Les gars de la prison. Mais ce sont les mêmes gars que ceux qu’il retrouve dehors. Dehors, ce type, libéré après DEUX MILLE SEPT CENT SOIXANTE-QUATRE jours de prison, ne retrouve pas sa femme. Elle est partie. A l’étranger. En France. Son téléphone est sur écoute. Il décide de retrouver Mina. Mina, c’est l’infirmière qui s’est occupée de lui à la prison. En même temps, il commence à fréquenter la femme de son camarade de cellule – enfin, UN de ses camardes de cellule. Doctor. La femme de Doctor, donc. Et puis un jour, un gars de la prison lui dit que s’il ne veut pas mourir – le type était initialement condamné à mort – il va devoir lui obéir, au gars de la prison. Et le gars de la prison, il veut que le type libéré, il infiltre un réseau pour lui fournir, au gars de la prison, des informations. Et blablabla.

Des clichés

C’est l’histoire d’un mec dont le cerveau a été atomisé par son séjour au mitard. Je pense que si l’on aborde ce roman avec cette idée bien ancrée en tête, on a peut-être une chance d’apprécier ce bouquin. Peut-être. Mais moi, bien sûr, personne ne m’avait donné ce conseil. Du coup, j’ai juste trouvé que la trame était mal fichue, la psychologie des personnages grossière, les dialogues mal écrits, grotesques. J’ai détesté tous les préjugés que j’ai croisés, le fait que le personnage principal reluque de la tête au pied chaque femme qui croise sa route, que les flashbacks se mêlent aux récits du présent.

Mais également à des souvenirs d’enfance, le tout étant extrêmement mal ficelé. Le type se dit «poète» mais ses références, c’est Baudelaire et Saadi. Excusez le cliché! Pour un passionné, il aurait au moins pu sortir le nom d’un petit poète inconnu, sorti tout droit de derrière les fagots, le genre que seuls les «vrais» peuvent connaître. Le coup «Baudelaire», c’est un peu trop fastoche quand même. Quant à Saadi, «un des plus grands poètes et conteurs persans» selon Wikipédia, bonjour la complaisance!

Quel désagréable personnage que ce protagoniste. En prison, on le surnomme «Gentleman» pour avoir balancé tout le monde afin de sauver sa femme. A peine libéré, il ne pense qu’à la retrouver, mais ne cracherait pas sur le fait de se taper, au passage, l’épouse de son plus cher ami ainsi que la sœur d’un autre détenu, battu à mort par sa faute. La classe. Tout ça pour finir par admettre, quelques pages plus tard, qu’il hait toutes les femmes. Logique. Le type n’a que deux choses en tête: le sexe et la poésie.

Incohérences en série

Mais à la page 56, on apprend qu’il kiffe Breton et prend plaisir à réciter ses vers. André Breton. Le mec que toute personne sensée ayant lu au moins un de ses ouvrages déteste éperdument. Et puis le type, notre héros, il théorise sur l’amour libre dès que ça l’arrange. Mais quand c’est le frère de sa femme qui répond au téléphone, il pète un câble et, fou de jalousie, arrache la prise téléphonique du mur.

MON DIEU, que j’ai détesté ce roman! Mais qu’est-ce qui a poussé les gars de chez Robert Laffont, pourtant souvent brillants, à publier un tel ouvrage? A quel moment ils se sont dit que c’était une bonne idée d’investir du temps, de la thune et du papier pour un tel machin? Est-ce que quelqu’un peut me filer leurs coordonnées, j’ai quelques papiers que j’aimerais soumettre à leur lecture – moi aussi je veux qu’on me publie!

Et personne ne se charge de la relecture? Depuis quand est-il permis de mettre une majuscule après des points de suspension? Ça ne dérange personne de lire «La main sur la poignée de la porte, je contemple le portrait lorsque arrive M. Caro»? Quelqu’un peut-il m’expliquer le sens de cette phrase: «On ne peut stopper le progrès, dis-je à part moi, laissant glisser mon regard sur ses épaules, sa nuque et sa queue de cheval négligée»?

Une fascination pour les conflits

Et puis, de façon générale, c’est quoi cette fascination qu’on entretient au sujet de la guerre et des conflits? – Parce que je ne vous l’ai pas dit, mais l’histoire se déroule à Téhéran, et là-bas, c’est pas tous les jours la joie. Que ce soit dans la littérature, le cinéma, les séries, on adore s’infliger des heures de combats cruels et sanglants, voir des hommes et des femmes le visage déformé par les cris et les pleurs, revisiter mille et une fois le drame de la Shoah, observer des corps meurtris et déchirés sur écrans géants.

Quelle étrange idée. Souffrons-nous d’un complexe de n’avoir rien vécu d’aussi intéressant que les dictatures et la guerre? Pourquoi aime-t-on tant parler d’une chose qui nous est pourtant si étrangère? Une expérience dont tous les films, récits et témoignages ne nous permettront jamais de saisir l’ampleur de l’horreur tant que nous ne l’aurons pas personnellement vécue. Et si cela était possible, cette compréhension ferait-elle de nous des êtres meilleurs, empathiques et tolérants? La souffrance humaine. Quel étrange divertissement.

Arrivée à bout de ces CENT NONANTE-QUATRE page, je pensais simplement balancer mon exemplaire d’Ennemi de Dieu sur anibis.ch, avec en bonus mes notes de lecture plutôt fleuries. Mais maintenant que je rédige ces lignes et me remémore ce par quoi je suis passée, j’ai davantage envie d’y foutre le feu et d’enterrer ses cendres. Pleine d’amour et de bienveillance pour mon prochain, je veillerai à ce que personne ne subisse la lecture de ce satané bouquin.

Crédit photo: © Amélie Wauthier pour Le Regard Libre

Ecrire à l’auteure: amelie.wauthier@leregardlibre.com

Sorour Kasmaï
Ennemi de Dieu
Robert Laffont
2020
184 pages

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