Trier les affaires d’un proche décédé fait souvent partie du deuil. Ludivine Ribeiro a poussé l’exercice plus loin. Elle a publié un livre. Une manière pour l’auteure genevoise de raconter une tranche de vie. La sienne et celle de sa famille. Un livre doux et thérapeutique.
«La vie se divise en deux parties, mais personne ne nous le dit: celle où on a une mère, et celle d’après. On nous fait croire que c’est banal, une formalité, qu’il suffit de faire son deuil, le plus vite possible – certains vous donneront même une durée précise, comme s’il s’agissait de la cuisson d’un gâteau –, et hop, ça repart. Or non.»
L’héroïne de Ma mère en toutes choses peine à retrouver la sérénité après le décès de la femme qui l’a vue naître. Même plusieurs années après, cette séparation l’accable. Davantage que ce qu’elle aurait cru. Auteure de sa propre histoire, Ludivine Ribeiro décide alors de dresser l’inventaire des objets qui lui ont appartenu «comme autant de preuves de sa présence». Souvent chargés émotionnellement, ils représentent les seuls éléments matériels qui restent après le décès d’une personne.
«Les objets, pour qui on a si peu de considération, possèdent des pouvoirs insoupçonnés. Leur existence, souvent bien plus longue que la nôtre, est fantasque et plurielle, gorgée de souvenirs superposés.»
Elle liste alors: le pistolet à Chantilly, le sari émeraude, le débardeur rose… Mais également: les lettres, l’obscurité, l’éternité… Une manière de raconter sa vie à elle, ses souvenirs, mais aussi le parcours d’une mère tant aimée qu’elle admire toujours.
«Que mettais-tu dans ta salade de riz?»
Un chapitre correspond à un objet: de prime abord, la forme, très codifiée, pourrait lasser. Ce n’est pourtant pas le cas. Ludivine Ribeiro varie le style de narration à chaque souvenir, nous permettant progressivement d’apprendre à connaître cette mère allemande, émigrée en Suisse et mariée à un Indien bien plus âgé qu’elle. Une dame lumineuse et triste à la fois, engagée dans des causes humanitaires, grande cuisinière et créative bricoleuse.
Et puis, il y a tout ce qui n’est pas dit. Tous ces éléments que Ludivine Ribeiro a déjà oubliés. Les questions qu’elle n’a jamais posées. Les histoires qu’elle n’a pas pris le temps d’écouter. Alors pour combler ces lacunes, elle lit les agendas de sa mère. Avec frénésie, culpabilité et tendresse. «Qu’est-ce qui relève encore de la vie privée quand de la vie on est désormais privé»?
La fausse «étape» du deuil
Le roman Ma mère en toutes choses n’a pas l’ambition de percer le mystère de la mort. Il a néanmoins le mérite de souligner de manière poétique les instants du quotidien qui jalonnent cette période de deuil bien trop souvent réduite à «une étape». Au fil des pages, les émotions de la jeune femme n’évoluent d’ailleurs que très peu. L’écrivaine semble être enfermée dans la douleur moelleuse de la perte, sans réussir à en sortir – mais le souhaite-t-elle vraiment? – même après avoir listé l’ensemble des objets. Certains verront ce surplace narratif comme frustrant, pathologique. D’autres le prendront tel qu’il est: une réalité déconcertante. La tristesse est parfois insoluble.
«On croit que le deuil c’est apprendre à vivre sans, alors que c’est l’inverse. L’absence n’est pas le contraire de la présence, mais la présence amplifiée, exaltée, démultipliée, et il faut se débrouiller avec ça désormais, ce mélange de vide et d’envahissement. Apprendre à vivre sans elle, avec sa présence perpétuelle.»
Ecrire à l’auteure: diana-alice.ramsauer@leregardlibre.com
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Ludivine Ribeiro
Ma mère en toutes choses
Arléa, coll. «La rencontre»
août 2023
264 pages