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Sous les pavés soixante-huitards d’un certain Grégoire Müller3 minutes de lecture

par Jonas Follonier
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Les bouquins du mardi – Jonas Follonier

Publié aux Editions de l’Aire, Sous les pavés… Lézards est un magnifique témoignage d’un soixante-huitard, le peintre suisse Grégoire Müller, nostalgique d’une époque qui a pourtant donné naissance à la société d’aujourd’hui qu’il abhorre.

Pour différentes raisons que je vais tenter d’exprimer en cette chronique vespérale, le livre aux mille défauts sur lequel j’ai choisi de m’attarder est à lire absolument. La première d’entre elles est simple: Sous les pavés… Lézards contient deux parties qui ont chacune un excellent sujet, à savoir le souvenir du narrateur de sa montée à Paris en adolescent suisse romand plein d’illusions, d’une part, ainsi que les réflexions actuelles de ce même narrateur sur l’art et l’époque que nous vivons, d’autre part.

Paris, de l’art et de l’amour

Mieux, cet angle donne matière à un récit respectable, comportant de la douceur, du jeu, de la surprise et parfois même un talent stylistique, sans que cela déborde non plus. Il reste que toute première aventure parisienne pour un jeune, plouc ou Rastignac qu’il soit, est touchante en tant que telle. Grégoire Müller, actuel résident de la Chaux-de-Fonds, avait des attentes envers la capitale française, la capitale de l’art, la capitale de tout, que notre génération entretient à son tour. Et les désillusions qui vont avec.

«Monter à Paris! Nous sommes en 1965, j’ai 18 ans, pour moi c’est aller à la source de tout ce qui me passionne, au cœur du monde de l’Art. Je quitte la Suisse, ses conventions, son cadre sécurisé, pour partir à l’aventure, à la rencontre de tous ces peintres, sculpteurs, poètes et autres grands esprits, vivants ou décédés, qui ont nourri ma vie d’adolescent. Et n’est-ce pas aussi la capitale de l’Amour?»

De l’amour, Grégoire Müller nous en donne-t-il dans son nouveau roman? Peut-être, mais ce qui est sûr, c’est que de la vulgarité est servie à haute dose au lecteur. Plus que de l’amour, c’est du sexe assez crasse et assez résumé crûment qui parcourt bon nombre de pages. Je me retiendrai donc de citer les passages. Et quand ce n’est pas vulgaire ni lourd, il faut dire que c’est assez attendu et pas forcément utile: «Chantal a presque dix ans de plus que moi et, sans qu’elle ne soit intentionnellement condescendante, elle me le fait sentir. Même en amour, c’est elle qui aime me chevaucher… et ce n’est pas toujours ce que je préfère.»

Mais honnêteté oblige, la première partie contient déjà de belles et intéressantes phrases. Par exemple sur l’art abstrait conceptuel, que l’on voit apparaître sous les yeux lucides de l’auteur quant aux travers du nouveau mouvement artistique. Des réflexions que Grégoire Müller reprendra dans la seconde partie, où le ton est encore plus subjectif et où le récit fait place à la pensée. Aussi, sa description des différents milieux anarchiques, alternatifs et gauchistes jusqu’aux galeries les plus huppées nous donne à voir une certaine époque, déterminante pour comprendre la nôtre.

Une touchante mélancolie de gauche

Et c’est là justement où l’auteur de Sous les pavés… Lézards est à la fois le plus ridicule et le plus intéressant. Ventant un chemin de vie qu’il a entièrement voué au refus de la consommation et à la défense d’un idéal utopique marqué par l’égalité jusqu’au-boutiste, la fraternité, la collaboration et la rébellion, Müller ne semble pas avouer son péché le plus mignon et le plus mortel: celui d’avoir adhéré à un courant de pensée à l’origine du monde qu’il critique et qui est le nôtre actuellement.

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Si l’œuvre d’art n’a plus aucun critère qualitatif aujourd’hui, c’est précisément par suite logique d’une époque où l’on a commencé à tout déconstruire. Cela vaut pour le domaine de la peinture comme pour tout autre domaine: que l’on sait réactionnaire ou progressiste – ou les deux, please – tout le monde s’accordera à dire que la verticalité est menacée partout et que la table rase du passé, même si ça ne se fait plus de la clamer, a bel et bien sévi. Grégoire Müller l’avoue tout de même le temps d’un paragraphe. Insuffisant aveu, sans doute, mais la mélancolie de gauche de notre auteur a un je-ne-sais-quoi de terriblement touchant.

Grégoire Müller
Sous les pavés… Lézards
Editions de l’Aire

2019
312 pages

Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com

Crédit photo: © Jonas Follonier pour Le Regard Libre

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