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Jikaëlle: un style folk qui s’affine au fil du temps9 minutes de lecture

par Jonas Follonier
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Julie, alias Jikaëlle, est une jeune auteure-compositrice-interprète qui prend tout simplement du plaisir à faire quelque chose de passé de mode: de la chanson française. La Française nous raconte des histoires, une façon de concevoir la chanson qui fut longtemps la règle du genre. Entre ici et ailleurs est son troisième opus et, Covid oblige, il aurait éventuellement dû sortir plus tôt. Le style de Jikaëlle, lui, n’a jamais été aussi évident. Produit par Bernard Léchot, cet album révèle une artiste complète. Rencontre.

Le Regard Libre: Cet album installe votre style folk au sens où il le perfectionne, en l’agrémentant de quelques nouvelles touches. Un style, ça se construit, ou est-ce inconscient?

Jikaëlle: Je ne sais pas si on crée son style, mais ce qui est sûr, c’est qu’il s’affine au fil des années. Ce qu’on peut ressentir, je pense, à l’écoute de mes trois albums, c’est la progression des instrumentations. Pour le premier album, Evasions (2014), mon complice musical Bernard Léchot avait enregistré toutes les instrumentations, car je ne m’assumais pas comme musicienne, et c’était donc surtout ses idées à lui, même s’il me demandait bien sûr toujours mon avis. Comme tout était inédit pour moi, presque tout me convenait. Et surtout, on avait réalisé l’album avant de donner des concerts. Pour ce qui est d’Evidences (2017), on a pu tester les chansons sur scène avant de les mettre sur disque. Pour mon troisième album, Entre ici et ailleurs, qui sort maintenant, j’ai tenu à écrire toutes les instrumentations. Il y a donc forcément un effet sur le style, qui est en partie lié aux orchestrations. A force d’écouter certaines choses, on fait aussi évoluer son style. Le fait de m’être liée d’amitié avec Morgoran, qui a joué sur certains de mes titres dès mon premier album, et donc de l’écouter, m’a nécessairement influencée pour mon nouvel opus. Dans mon titre Nouveau départ, je souhaitais retrouver des sonorités un peu planantes que l’on rencontre dans son univers. Morgoran joue ainsi deux guitares sur ce morceau, ce qui lui donne aussitôt une autre saveur musicale.

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On trouve d’ailleurs ces influences ou confluences personnelles concrétisées dans l’instrumental Ici, ailleurs… Et un peu là quand même.

Tout à fait! Erwan Mouly, l’un de mes grands amis et collaborateurs, est de la partie, tout comme Bernard Léchot, bien sûr, et son fils Morgoran, justement. La construction de ce titre est partie d’une improvisation entre Erwan et moi. Nous nous sommes alors dit qu’il fallait faire quelque chose de cette impro. Erwan a trouvé une mélodie à la guitare, qu’il joue en outre à la flûte vers la fin, et on a monté un schéma avec une accumulation d’instruments pour que chacun puisse faire un solo.

Cela m’amène à une question d’ordre général, qui me trotte dans la tête depuis quelque temps. On dit souvent qu’une chanson, c’est un texte et une musique. Mais ne serait-ce pas plus précisément la rencontre entre une mélodie (avec un texte) et une orchestration?

Totalement, je pense qu’on sous-estime l’importance de l’orchestration. Si la scène et le studio sont si différents, c’est justement en raison du rôle de l’instrumentation. D’ailleurs, un artiste préfère souvent soit les concerts, soit le studio. Moi, j’aime mieux les concerts et je sais que Bernard, par exemple, préfère être en studio – c’est aussi pour ça qu’on se complète bien. Pour ma part, je fais de la musique avant tout pour la spontanéité qui lui est liée et les rencontres auxquelles elle donne lieu. Le côté «confiné» du studio demande une rigueur telle qu’on n’a pas le droit à l’erreur. L’idée est quand même qu’un morceau présent sur un album soit écouté plusieurs fois, il faut donc qu’il soit parfait, qu’il saisisse l’auditeur dès les premières notes – d’autant plus qu’il n’y a pas le visuel qu’offrent les concerts.

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T’étais là est une des très belles chansons de l’album. D’où est née la partie de piano, très réussie, qui porte la chanson?

Le piano de T’étais là est interprété par Jean-Félix Camus, un musicien professionnnel de jazz. Je l’ai rencontré dans le cadre de ma formation de musicienne intervenante à Tours – mon métier consiste à faire de l’éveil musical auprès d’enfants, principalement des bébés. Comme Bernard avait une idée de piano en tête pour T’étais là et que j’adore la touche de piano de Jef, je lui ai envoyé la maquette et il a joué sa partie à sa manière, en changeant un peu les notes.

L’auteure-compositrice-interprète française Jikaëlle et son producteur suisse Bernard Léchot, qui l’accompagne à la guitare sur scène.
J’ai l’impression que les histoires que vous nous racontez, comme celle de ces deux anciens amis dans T’étais là, sont réelles, que vous connaissez intimement les personnes dont vous nous faites le récit. Je me trompe?

C’est l’éternelle question. Dans mon cas, mes chansons résultent d’un doux mélange entre ce que je vois, ce que je vis, ce que je ressens et ce que j’imagine. Tantôt l’imagination prend clairement le dessus sur le réel, tantôt c’est le contraire. Vous parlez des personnes: parfois, il s’agit d’individus que je ne connais pas du tout, mais que je vois un bref instant et qui m’inspirent quelque chose. C’est typiquement le cas de Nouveau départ: j’étais dans un wagon et j’ai vu un contrôleur dire au revoir à quelqu’un qui était dans le train; ce seul spectacle m’a fait imaginer toute la suite de l’histoire.

Est-ce là le grand pouvoir de la musique et de l’art en général: étendre le réel?

Je parlerais tout simplement d’évasion. Ma démarche s’inscrit notamment dans cette idée-là. Ce n’est pas pour rien que mon premier album s’intitule Evasions et mon dernier Entre ici et ailleurs.

Vos titres sont intéressants à plus d’un titre (Rires). Tous les trois commencent par un e.

En effet! C’était voulu. Après Evasions et Evidences, je songeais, pour rire, à appeler mon troisième album Eventuellement, ou alors Evanescence, dans l’idée où j’avais en quelque sorte fait le tour. Je trouvais cependant que ces deux mots n’étaient pas «évidents» comme les deux premiers, mais je cherchais quand même un mot unique. C’est le mot «ailleurs» qui m’occupait l’esprit. Comme Ailleurs tout seul aurait été un peu vaste, je me suis dit que je pouvais mettre plusieurs mots dans mon titre et c’est devenu très rapidement Entre ici et ailleurs. J’ai remarqué après coup que dans tous mes titres, il y a cette ambiguïté entre la réalité et un «ailleurs». Et comme en plus cet album a été réalisé entre la Suisse et la France, ce titre résume parfaitement le tout. L’album a été fait ici et là, aussi bien dans la production que dans le sens des chansons!

Quels artistes écoutiez-vous enfant? On dit souvent que c’est ce qui définit en grande partie une trajectoire musicale.

J’ai été éduquée avec la radio Nostalgie. C’est donc à la fois les années quatre-vingt – j’assume, rien de tel pour danser – et les deux décennies précédentes. J’ai particulièrement été imprégnée par Cabrel et Goldman. Ensuite, j’ai découvert la musique anglophone, principalement les Eagles – que j’ai en commun avec Bernard – et, plus tard, l’Américaine Gretchen Peters. Je suis tombée sur elle totalement par hasard: je suis allée voir un concert de David Crosby à Paris et des gens distribuaient des tracts pour la venue de Gretchen Peters dans la même ville deux jours plus tard. Le concert de David Crosby m’a moyennement convaincue, du fait de ses sonorités finalement plus électriques que ce à quoi je m’attendais. Par contre, en allant voir Gretchen Peters deux jours plus tard, je suis totalement tombée sous le charme de son univers. Elle a une présence, une voix et une douceur qui font qu’elle réunit tout ce qui est propre au folk sans avoir une voix nasillarde à la Bob Dylan. Ses mélodies, ses ambiances, ses instrumentations m’ont également beaucoup plu. Le concert s’est déroulé dans la Chapelle des Lombards, qui est un tout petit endroit où je pourrais moi-même jouer. Comme quoi, ce ne sont pas toujours les grandes stars qui t’en mettent plein la vue! Depuis, j’écoute beaucoup de cette artiste et elle m’a donné envie de jouer le même genre de picking (ndlr: une technique de jeu mélodique) qu’elle à la guitare. Ma chanson Comme un oiseau en est très largement inspirée.

La chanson française, n’est-ce pas une pratique absurde, voire masochiste, aujourd’hui?

Si, complètement. J’en suis bien consciente. Avec le confinement, j’ai pris encore plus de recul sur les choses et me suis dit qu’être connue du plus grand nombre possible n’est pas forcément l’objectif, dans la mesure où je connais maintenant mon style et que je sais qu’il ne correspond pas à l’air du temps. Pour moi, ce qui compte, c’est de partager des moments avec le public et de me faire plaisir. Mes chansons ne passent sur une aucune radio en France – seulement dans des radios suisses. Il y a chez vous une ouverture différente. En France, il faut avoir des instrumentations très pop, ce qui fait que l’histoire racontée par les paroles s’efface derrière la musique. Même Vianney, dont j’apprécie les paroles et la musicalité, s’y est aussi mis et je trouve cela dommage. Les médias et les maisons de disque ont un pouvoir énorme; nous suivons alors ce qu’ils nous disent d’aimer.

Toutes les infos sur ses dates.

Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com

Image d’en-tête: © Bernard Léchot

Vous venez de lire un article de Jonas Follonier tiré de notre édition papier (Le Regard Libre N° 65).

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