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Les vertus du silence4 minutes de lecture

par Jonas Follonier
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Le Regard Libre N° 21 – Jonas Follonier

Le silence, peu à peu, disparaît de notre monde. Bien que je haïsse les «c’était mieux avant», la nostalgie, elle, ne m’incommode pas: quand elle est justifiée, c’est le plus beau sentiment qui soit. Ainsi en est-il de mon regret du silence, cet ami de l’homme qui ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir.

Nous pourrions dire que le silence est au bruit ce que les trous sont à la matière. Il existe actuellement des discussions passionnantes dans les instituts de philosophie pour savoir si les trous existent ou non. Cette question métaphysique nécessite bien plus qu’un article. La difficulté est en effet évidente: les trous ne semblent être que des néants, des absences de matière… autrement dit, rien. Comment donc pourraient-ils être quelque chose? Le silence, lui, existe à coup sûr.

En quoi consiste-t-il, voilà une question à laquelle nous n’allons pas répondre. Encore une fois, une telle ontologie ne saurait avoir sa place ici, tant elle nécessite de lignes. Essayons cependant d’envisager non pas en quoi le silence consiste, mais à quoi il renvoie, ou si vous préférez, ce qu’il évoque, ce qui fait son intérêt. «L’homme est la mesure de toute chose», comme disait l’autre: considérons donc le silence par rapport à l’homme.

Tout d’abord, aussi bête que cela puisse paraître, le silence s’ancre dans la nuit, alors que l’agitation est le propre du jour. La nuit, évidemment, n’est pas toujours calme, elle est même parfois extrêmement agitée, et un dimanche peut s’avérer d’un ennui et d’une atonie étouffants. Simplement, pendant longtemps, et encore maintenant de manière générale, l’être humain s’active la journée durant, pour ensuite se reposer dans son lit. Le silence que procure la nuit fait succéder à la vie extérieure une vie intérieure.

Et si le silence se fait de plus en plus rare, c’est peut-être parce que la vie intérieure, justement, ne signifie plus grand chose dans notre société post-culturelle. Post-culturelle, au sens où la fréquentation des textes littéraires n’est plus au menu de notre existence, de même que l’admiration de nos professeurs ou les réflexions personnelles autres que «Moi, j’adore le yoga!».

Nous pourrions définir la vie intérieure comme un dialogue, intime et rigoureux, avec soi-même, mais aussi avec les morts. Et pour cause, le jour, siège du travail et du loisir, nous fait rencontrer des personnes vivantes: nos collègues, notre famille, nos amis, nos connaissances, des inconnus, etc. C’est par la parole que nous conversons avec eux. Avec les morts, à l’inverse, nous ne pouvons parler autrement que dans le silence.

Le silence est donc bien un environnement qui nous permet de nous inspirer de personnalités disparues, de nous souvenir d’un proche défunt ou de rire d’un moment appartenant au passé. Le bruit, lui, nous ramène sans cesse au présent. Un présent qui ne veut absolument rien dire, car comme les musiques d’ascenseurs, il ne devient qu’un insupportable flux, un flux qui nous fatigue et nous fait détester la vie.

Pour aimer la vie, et notamment le futur qui est le temps le plus important car celui de notre liberté, la confrontation avec le passé est indispensable, et elle passe par le silence. Le bruit, vecteur d’horizontalité temporelle et porte-parole du corps, doit trouver son équilibre avec le silence, porteur de verticalité temporelle et porte-parole de l’âme. Ce qui nous amène à la question de la musique.

La musique, de fait, n’est-elle pas l’une des expressions les plus pures de l’âme? Qu’on la compose, qu’on l’écoute ou qu’on en joue, la musique est une expérience privilégiée qui, à l’instar de la parole et de l’écriture, émane toujours du silence. Il ne faut donc pas opposer la musique au silence, mais au contraire reconnaître leur relation conjugale. C’est souvent dans des lieux solitaires que des idées de projets me viennent, c’est souvent pendant la nuit que les meilleurs artistes trouvent de l’inspiration… Tout cela n’est pas le fruit du hasard, mais montre que la musique et la vie intérieure en général s’opposent au bruit et s’enracinent dans le silence. En somme, «l’ascèse pourrait bien être le secret des créateurs», comme titrait Le Temps il y a quelques semaines.

Or si les gens ont de moins en moins l’habitude du silence, ce n’est pas pour autant qu’ils apprécient le bruit. La musique d’ambiance, qui envahit peu à peu tous nos lieux publics, comme les restaurants et les magasins, fait l’objet de plaintes de plus en plus nombreuses. Cependant, ne tombons pas dans le piège de l’émotion. Notre éloge du silence ne doit pas nous inviter à partir en guerre contre le bruit. Il s’agirait au contraire de «mieux l’aimer», afin de pouvoir aussi aimer son contraire, à savoir ce fameux silence.

Comment mieux aimer le bruit? En lui redonnant sa juste place. Le bruit des cloches qui annoncent l’heure à la campagne apaisent, tandis que le bruit des travaux sur la route énervent. Pourquoi? Parce que le premier succède au silence, tandis que le second succède à lui-même. Le bruit est devenu incessant. Essayons d’imaginer un moment de notre journée où aucun son ne se fait entendre; il n’y en a pas. Cette toute-puissance du flux sonore, à mettre évidemment en relation avec l’urbanisation et la démographie croissante, se répercute même sur notre propre psychologie: j’ai comme l’impression d’avoir continuellement une musique en tête, de ne jamais me sentir la force de faire le vide et de me poser, tranquille, dans un lit de silence.

Alors, retrouvons le goût du silence, ce conditionnement devenu luxe! Face à la «minoration de l’œil qui regarde», ayons de la sympathie envers la «majoration de l’oreille qui n’écoute pas», pour reprendre l’expression de Jean-Michel Delacomptée.

Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com

Image: Caspar David Friedrich, Femme devant le coucher de soleil (1818)

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