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Politique

Analyse

La face sombre de l’appel à la responsabilité6 minutes de lecture

par Antoine-Frédéric Bernhard
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covid

Se faire vacciner? Un acte de «responsabilité»! Tout comme baisser son thermostat à 19°, ne plus prendre l’avion ou encore baisser sa consommation de viande. Cette rhétorique de l’appel à la responsabilité, omniprésente aujourd’hui, recèle un visage sombre.

Le libéralisme a toujours fonctionné sur le couple liberté-responsabilité. On se rappelle la réplique culte popularisée par les films Spiderman des studios Marvel: «Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.» La liberté est assurément un grand pouvoir: celui de faire «ce que l’on veut». Si l’on en jouit sans discernement, il peut devenir néfaste. D’où l’importance de la responsabilité, conçue comme une limitation librement consentie dans certaines circonstances de sa propre liberté. Ainsi, la responsabilité présuppose la liberté. Sans liberté, pas de responsabilité. On ne peut supprimer l’une sans supprimer l’autre.

L’utilisation quotidienne du terme d’«irresponsabilité» dans les médias pour désigner tout une gamme de comportements montre la grande portée symbolique de la notion dans nos esprits. Se voir taxer d’irresponsable est extrêmement désagréable et infamant. Les spécialistes de la communication politique l’ont bien compris. A telle enseigne que l’appel à la responsabilité et les procès en irresponsabilité sont parmi les éléments de langage les plus prisés des classes gouvernantes à l’heure actuelle.

Covid, énergie, climat…

La crise Covid fait en la matière figure d’archétype. Malgré une politique et des mesures parfois cacophoniques et contradictoires, l’appel à la responsabilité, lui, a scandé d’un bout à l’autre la communication gouvernementale durant la crise. L’exemple suisse ne fait pas exception. Le 20 mars 2020, au moment de décréter le semi-confinement, le ministre de la Santé Alain Berset en appelait à la responsabilité des Suisses. En février 2022, au moment de lever progressivement toutes les mesures de restriction, son successeur à la présidence de la Confédération, Ignazio Cassis, se fendait d’une saillie philosophico-littéraire: «La lumière est bel et bien là à l’horizon […] Mais qui dit plus de liberté, dit aussi plus de responsabilité.»

En février 2022, la Russie décidait d’attaquer l’Ukraine. L’Europe choisissait pour répliquer de se passer du gaz russe. Pour anticiper les risques de pénurie énergétique pendant l’hiver 2022-2023, dus en partie à cette sanction économique, une nouvelle version de l’appel à la responsabilité a vu le jour: il était devenu «irresponsable» d’envisager de chauffer sa maison à plus de 19° ou de laisser trop d’ampoules allumées. Pour les mêmes raisons, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga jugeait opportun de recommander les douches à deux!

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En 2023, en France, c’est avec l’eau potable qu’on rejoue la partition. A titre d’exemple récent, Le Parisien titrait le 28 mai dernier, par suite des déclarations du ministre français de la Transition écologique: «Piscines: est-ce vraiment irresponsable d’avoir un bassin?». Plus généralement, c’est toute la question climatique et écologique que l’on traite aujourd’hui au prisme de l’irresponsabilité. S’opposer aux écologistes sur n’importe quel point de leur programme, c’est encourir le procès en irresponsabilité!

La fin de la responsabilité

En appeler à la responsabilité n’est pas une absurdité, loin de là. Laisser aux individus la liberté d’assumer les conséquences de leurs choix est le contraire de l’infantilisation et protège la société des velléités autoritaires de l’Etat. Seulement, la rhétorique de la responsabilité telle qu’on la mobilise aujourd’hui sert le plus souvent à accompagner ou justifier la mise en œuvre de politiques tendanciellement autoritaires et attentatoires aux libertés. On ne dit plus «Soyez responsables», mais plutôt «Soyez responsables, sans quoi nous serons contraints de vous forcer à la responsabilité». C’est la nouvelle version du TINA (There Is No Alternative) thatchérien. En somme, l’appel à la responsabilité s’est mué en une forme particulièrement offensive de politiquement correct, si l’on entend par là le fait de parvenir à discréditer a priori certaines opinions ou certains actes.

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Mesures autoritaires et responsabilité sont totalement incompatibles. Les premières restreignent voire empêchent l’exercice de la liberté, condition sine qua non de la seconde. Aujourd’hui, la responsabilité consiste en fait bien souvent à se conformer de force aux volontés politiques du moment. Quand on nous dit qu’il faudra peut-être accepter demain, par responsabilité, un traçage de notre «empreinte carbone» dont le résultat pourra restreindre certaines de nos libertés, comme celle de prendre l’avion, la mauvaise foi est évidente! Il n’est pas question de responsabilité, mais de restreindre la liberté.

Il n’est pas interdit de rêver d’une telle société. Ce qui est malhonnête, en revanche, c’est d’en préparer l’avènement par une mobilisation croissante de l’appel à la responsabilité, qui masque la vraie nature d’une société de surveillance généralisée. Quand chaque comportement est réglementé et appelle éventuellement une récompense ou au contraire une mesure de rétorsion, l’Etat se mue en une sorte de parent qui ne traite pas les citoyens comme des individus responsables, mais comme des enfants à éduquer.

Commentaire | Quand le complot devient réalité

Le 5 juin dernier, le directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a annoncé le lancement d’un projet de passeport vaccinal mondial basé sur la technologie du passeport Covid de l’Union européenne (UE) utilisé pendant la pandémie. Un article de TF1info précise l’idée sous-jacente à ce programme: «s’appuyer sur l’expérience de l’UE, qui a mis au point pendant la pandémie un pass sanitaire européen, afin qu’un outil similaire puisse cette fois s’étendre au reste du monde.»

Notons que dès la mise en place des systèmes de passeports vaccinaux pour lutter contre le Covid-19, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer le risque d’une généralisation de cet outil à d’autres maladies et à d’autres contextes. Ces voix ont été opportunément disqualifiées, accusées de complotisme. Faut-il en conclure que le complotisme est la voix de la raison? Certainement pas! En revanche, la lutte contre le complotisme, ou l’anti-complotisme, révèle ici son côté sombre: celui d’une autre forme de politiquement correct qui, au nom de la défense de la vérité, conduit dans les faits à discréditer a priori certaines positions et à miner les fondements d’un débat éclairé.

Ecrire à l’auteur: antoine.bernhard@leregardlibre.com

Vous venez de lire une analyse – exceptionnellement en libre accès – tirée de notre notre dossier INFANTILISATION, publié dans Le Regard Libre N°98.

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