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Littérature

Critique

«Mars», la dernière colère d’un jeune Zurichois5 minutes de lecture

par Diana-Alice Ramsauer
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Zollikon et Küsnacht sur la Goldküste (Rive dorée).© Roland zh

Dans son seul roman, publié à titre posthume en 1976, Fritz Zorn poignarde la société bourgeoise suisse qui l’a tué. Un ouvrage sur deux cancers convergents: le sien et le conformisme. Ce livre important a connu une nouvelle traduction française cette année.

Etre né dans une famille bourgeoise de la Rive dorée du lac de Zurich. Avoir été éduqué «comme il faut» et avoir mené une vie «comme il se doit» dans les années 70. Mourir rongé par un cancer à 32 ans sans avoir vécu. Et surtout en prendre conscience. Trop tard. Fritz Zorn a de quoi être sacrément en colère. C’est ce qu’il raconte dans Mars.

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Si ce livre aujourd’hui traduit pour la deuxième fois en français avait déjà fait grand bruit lors de sa parution il y a cinquante ans, son écho résonne encore dans notre Suisse contemporaine. Car il ne s’agit pas d’une banale autobiographie. Bien plus d’une autopsie. Celle de lui-même: Fritz Zorn, ou plutôt Fritz «Angst», de son vrai nom, un jeune homme qui cherche à comprendre les racines du mal. De son mal. Car sa maladie est double. Il y a d’un côté ce parasite du conformisme bourgeois qui le ronge. Et puis ce cancer qui le tue. Les deux se mêlant dans un «psychosomatisme» que tout médecin jugerait douteux, mais qui, en littérature, est fort de symbolique. C’est que, selon le narrateur, c’est bien son éducation, les normes sociales et sa manière d’y faire face qui lui ont creusé le corps.

«(…) je considérais que la tumeur renfermerait des “larmes ravalées”. C’était comme si toutes les larmes que je n’avais pas pu – et n’avais pas voulu – verser dans ma vie s’étaient rassemblées dans mon cou pour former cette tumeur, faute d’avoir pu remplir leur fonction véritable qui était de couler (…).»

Dans cet ouvrage, publié à titre posthume, le Zurichois fouette au travers de nombreux exemples un legs transgénérationnel qui l’a enfermé dans un monde étriqué, muselé, coincé, livide, protestant, triste, frigide et modelé par la retenue. Un milieu aisé où tout ce qui pourrait mener à une dispute est systématiquement désamorcé par un «c’est compliqué». Où personne n’ose dire «non» de peur de briser l’harmonie. Où il y a la «bonne littérature» ou la «bonne musique», indépendamment des goûts et préférences de celles et ceux qui la lisent et l’écoutent. Des codes à ce point prédéfinis qu’il devient impossible de se faire un avis ou des ennemis. Pas même des amis. Et encore moins des amoureuses.

Un testament générationnel

C’est dans cette ambiance mole que le narrateur traverse sa vie. Passant par des épisodes dépressifs plus ou moins importants. Alors avant de mourir, il semble vouloir régler ses comptes. Ses parents sont peints comme les (presque) parfaits représentants du modèle honni. La critique est lourde. Mais elle est également subtile. En effet, pour Fritz Zorn, ses géniteurs sont davantage des victimes que des bourreaux. Tout comme lui finalement, qui n’a pas réussi à devenir acteur de ses propres décisions.

«(…) pour moi la guerre est perdue. Mais contre qui l’aurais-je menée, au juste, cette guerre? Qui furent donc mes ennemis? Il m’est difficile de répondre, quoique les mots se pressent dans mon esprit: mes parents, ma famille, le milieu où j’ai grandi, la société bourgeoise, la Suisse, le système.»

Mais encore davantage qu’une mise à mort programmée, Mars se révèle comme un testament à destination de cette génération née dans les années 50. Ces soixante-huitards suisses allemands qui ont voulu tuer le père et pour qui jouir était déjà une révolution. Des hommes et des femmes qui aujourd’hui – s’ils n’ont pas été emportés par le mal – sont à la retraite. C’est une fenêtre sur leur monde que nous propose Fritz Zorn à travers une écriture dramatiquement jetée sur papier avant sa disparition, et désormais traduite au plus près de sa langue violente et singulière.

Ecrire à l’auteure: diana-alice.ramsauer@leregardlibre.com 

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«Mars» de Fritz Zorn

Fritz Zorn
Mars
Nouvelle trad. d’Olivier Le Lay
Gallimard
2023
320 pages

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