En Suisse, en France, et au fond partout en Europe de l’Ouest et aux Etats-Unis, avec des nuances par pays, la gauche ne ressemble plus à elle-même. Les diverses actualités ne cessent de l’attester. Ce constat que pose le député et philosophe genevois Jean Romain est le diagnostic d’un grand basculement, lui-même fondé sur des considérations électoralistes.
Durant les années 60 et 70 et jusqu’à François Mitterrand, la doxa socialiste dominait: universités, écoles, journaux, éditions, médias, intellectuels. Le peuple votait à droite, mais pensait avec les catégories mentales de la gauche. Après Mai 68, ces intellectuels s’attendaient à ce que le peuple des travailleurs, des «damnés de la terre», endosse l’idéal de la révolution et devienne le porte-parole du nouveau monde triomphal.
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L’attente dura une vingtaine d’années; rien ne se passa, car les classes sociales modestes entendaient se hisser au niveau des classes moyennes, emprunter l’échelle sociale, et elles ont adopté, au lieu de le combattre, le système capitaliste. Elles commencèrent même à voter pour la droite dure! Le Grand Soir s’éloignait. D’autant que les années qui suivirent l’élection de Mitterrand (1981) furent celles de l’enterrement des espoirs gouvernementaux socialistes.
Le reniement de la gauche par elle-même
Il a fallu trouver d’autres portefaix plus dociles pour porter le flambeau de la gauche toute-puissante intellectuellement. On a désigné diverses marges, divers courants (féministes, anti-racistes, antifascistes, LGBT, pro-musulmans, immigrationnistes, communautaristes, etc.) capables de se draper de l’idéal de la révolution anticapitaliste, de les unir sous une même banderole pour qu’elles fassent nombre, et de fédérer derrière elles la gauche déçue par un prolétariat peu enclin à la dictature. Elle se fédéra, mais elle perdit entièrement dans cette subordination sa spécificité doctrinale. Au fond, elle se fragmenta comme étaient elles-mêmes fragmentées les minorités de substitution qu’elle servait.
Elle perdit presque toutes ses convictions, quitte à devenir essentialiste, anti-laïque, communautariste, islamogauchiste et aujourd’hui woke. Et de défendre souvent l’indéfendable comme la censure: conférences universitaires interrompues, prétendue appropriation culturelle, lieux interdits aux Blancs, etc. La gauche socialiste noya tous ses idéaux dans la soupe écœurante de ces minorités. Elle y ajouta ce qui venait des Etats-Unis, à savoir un néo-progressisme qui est la cancel culture, abandonnant ainsi toute référence à l’universalisme.
Et maintenant…
Mais ces minorités s’en trouvèrent revigorées, et le socialisme historique pâlit en proportion. Tant et si bien qu’il fallut pour ne pas tituber redésigner l’ennemi – une fantomatique extrême droite aux contours flous – et faire résonner le gros tambour de l’antifascisme. Les sociétés les moins inégalitaires de l’histoire furent donc taxées de «patriarcat», de racistes et d’oppressives. Au fond, il faut faire des marges le centre: remplacer le prétendu oppresseur par les prétendus opprimés.
1 commentaire
Très intéressant ! Merci monsieur de votre franc parler.