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«Nuit scribe», après le cataclysme la poésie6 minutes de lecture

par Quentin Perissinotto
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Nuit scribe est le premier recueil de poésie remarquable et remarqué d’Eva Marzi. Remarquable pour sa qualité littéraire; remarqué car il avait déjà été couronné de deux prix littéraires avant même sa parution: le Prix de poésie de la Société Genevoise des Ecrivains et le Prix Renée Vivien. Faisons-nous scribes et entortillons-nous de vers.

Si ce recueil marque de manière officielle l’entrée en poésie d’Eva Marzi, il ne constitue cependant pas ses débuts en littérature. L’auteure genevoise a participé à plusieurs performances littéraires lors de festivals, a écrit pour le théâtre avec la revue L’Epître et a étudié et pratiqué la création littéraire à la Haute école des arts de Berne. Nuit scribe est d’ailleurs le fruit de ce master, sous le regard attentif des poètes Pierre-Alain Tâche et Pierre Lepori.

«Je taille dans le silence
les mots indispensables
qui adressent mieux que les yeux
la lumière»

Nuit scribe s’ouvre avec le chapitre intitulé «Réveil» qui pose le décor et l’ambiance de tout le recueil: si l’on comprend instantanément que quelque chose s’est passé et que le monde s’en trouve changé, on ne parvient cependant pas à savoir précisément ce qui était naguère. Le lecteur erre, à l’instar de la poétesse, dans un monde minéral, un monde fait de lacs, de forêts, de grottes et de montagnes, un monde où la nature est déréglée, inquiétante et perturbée.

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A force de sillonner par monts et par vers, la cause s’en dessine petit à petit: le langage est le coupable. La poétesse elle-même semble chercher d’où vient sa voix et tâtonne dans les silences. Si elle paraît à ce point désorientée, c’est qu’elle se réveille seulement à la suite d’une catastrophe naturelle, dont elle a tout oublié et qui lui a ôté tout repère. En plus de bouleverser entièrement le paysage. Il n’y a dans cet univers post-apocalyptique plus aucun agencement; pire, les normes ont été renversées: les arbres se terrent et se cachent, les abeilles se noient dans le miel, l’air s’effondre, la lumière a disparu des étoiles. Sans cesser de s’interroger, la poétesse chemine et cherche à remettre de l’ordre par son verbe dans cette confusion, de redonner au vivant sa fluidité et sa constance, de reconstruire cette symbiose et rendre à nouveau habitable le réel.

Les mots errent comme la faune

La langue d’Eva Marzi n’est toutefois pas l’illustration de ce monde: elle est déstructurée et chahutée, mais sereine, précise et ciselée. Pétrie d’images calmes, elle met à distance le lyrisme des poètes glorifiant la nature, puisque «qu’on ne peut plus écrire aujourd’hui comme on écrivait il y a cent ans sur la nature, de manière complètement romantique et naïve», déclarera l’auteure.

Il y a une incontestable impression de placidité qui se dégage de sa poésie. Chaque poème est assez court et ne prend que peu de place sur la page, les strophes n’excèdent que rarement six vers. Tout semble contenu et maîtrisé, rien ne déborde. Mais en prenant un peu de hauteur, on peut également y voir des mots presque isolés et perdus, dévoré par le silence blanc. A l’instar de la poétesse qui se voit «étouffer sous une neige / à moitié pure».

Le travail poétique d’Eva Marzi est remarquable en ce sens que Nuit scribe propose au lecteur un véritable parcours, une aventure littéraire, presque une pérégrination chaotique. Structuré en deux grandes parties, chacune séparée en quatre sous-parties, le recueil construit tout un monde et le déploie au rythme des poèmes. Nuit scribe est l’exact contraire d’une superposition de poèmes n’ayant aucun lien les uns avec les autres: les thèmes se répondent, la parole serpente, les paysages se changent et les horizons se démêlent. Sans que la poésie d’Eva Marzi ne soit narrative, un récit se dessine pourtant et louvoie parmi la musicalité. Ce qui permet d’affirmer un fait qui, a priori, se prête assez peu à la poésie: Nuit scribe embarque le lecteur.

De façon très subtile et quasi invisible, Eva Marzi drape sa poésie de l’une des grandes problématiques actuelles: le dérèglement climatique. Elle n’est jamais dans la démonstration, mais elle se sert de cette thématique comme ressource créatrice. Nuit scribe est un recueil qui met très finement en scène les liens entre l’être, la nature et la parole, explore leurs ruptures et leurs bris, un recueil duquel s’élève en définitive une question: que se passerait-il si nous laissions la nature prendre en charge les mots?

«Nous vivons secoués de vagues
cherchant un pré
pour nous sécher des aurores
abandonnant le matin
car il ne grandit pas»

Ecrire à l’auteur: quentin.perissinotto@leregardlibre.com

Crédit photo: © Quentin Perissinotto pour Le Regard Libre

nuit scribe eva marzi

Eva Marzi
Nuit scribe
Editions d’en bas
2022
96 pages

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