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Conseil fédéral: pourquoi vouloir supprimer la formule magique?5 minutes de lecture

par Jonas Follonier
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La participation, ce mercredi 12 octobre, à un débat consacré à la «formule magique» du Conseil fédéral sur le plateau de l’émission «Forum» de la Radio Télévision Suisse (RTS) m’a invité à creuser ma réflexion sur le sujet. Encore plus après l’émission, hélas. Mais c’est aussi cela que permet un débat, finalement.

Certains d’entre vous savent peut-être ce que c’est. D’autres l’imaginent. Participer à un débat télévisé, c’est faire face à une situation que l’on avait imaginée un brin autrement, faisant soudain effondrer toutes les idées et les notes que l’on avait rassemblées pour quelques minutes de paroles seulement. Et c’est déjà regretter de ne pas les avoir suffisamment bien investies. Ce qu’on avait à dire était pourtant si pertinent, voire impertinent! Sauf qu’on ne l’a pas dit, du moins pas tout. C’est toujours plus facile après. Alors autant user de cette facilité. Ne serait-ce que pour continuer la discussion.

Conseil fédéral: la présence de l’UDC en question

Effectivement, le présent article est peut-être le meilleur moyen de répondre au billet de blog publié par Chantal Tauxe – article qui a été l’origine de l’organisation du débat en question. Intitulant son texte «Le bilan de la présence de deux UDC au Conseil fédéral qui ne sera pas tiré», la vice-présidente du Mouvement européen Suisse et ex-journaliste de feu L’Hebdo affiche son mécontentement face au travail du Conseil fédéral depuis qu’il compte deux élus UDC (soit l’année 2003 avec l’élection de Christoph Blocher). Selon elle, la présence, à l’exécutif fédéral, du premier parti de Suisse avec un nombre de sièges égal à celui des libéraux-radicaux et des socialistes – a débouché sur le fait que «le Conseil fédéral a toutes les peines du monde à se projeter, à trouver des compromis et convaincre la population.»

Il faudrait donc, d’après elle, en finir avec la «formule magique», désignant la répartition des sept sièges ministériels en deux sièges pour chacun des trois premiers partis du parlement et un siège pour le quatrième. Le caractère arithmétique de cette configuration présente depuis 1959 ne serait pas, ne serait plus, à la hauteur des enjeux auxquels fait face le pays, en particulier ses relations à clarifier avec l’Union européenne (UE). «Sous l’influence de l’UDC», écrit Chantal Tauxe, la Suisse «est passée du statut de partenaire privilégié de l’UE à candidat état-tiers qui n’ose même pas se l’avouer». Bref, le parti national-conservateur est le premier fautif – voire le seul, l’éditorialiste n’évoquant aucun autre responsable – de l’échec de l’accord-cadre.

Ne point mélanger les pommes et les poires

Ce point de vue me paraît tout simplement faux. Les raisons en sont elles-mêmes assez simples. En quoi cette formule magique garantissant une représentation équilibrée des grandes forces politiques du pays aurait-elle quoi que ce soit à voir avec le non-aboutissement de l’accord institutionnel Suisse-UE? Pour prendre une décision, le collègue doit obtenir l’avis concordant d’au moins quatre de ses sept membres. L’UDC, redisons-le, n’est représentée que par deux membres. Nul besoin de leur attribuer quelque pouvoir de persuasion contagieuse et dangereuse pour reconnaître ce qui est, du reste, connu. A savoir que l’accord-cadre a également divisé le PLR et le PS, que la gauche syndicaliste a été très active pour faire capoter le projet et qu’il y a même autant d’avis sur l’UE que de conseillers fédéraux. Comment, dès lors, aboutir à un projet gouvernemental?

Le fait que Chantal Tauxe ne pointe pas une seule fois la responsabilité de la gauche dans ce dossier frise l’hémiplégie intellectuelle. On sent chez elle – en tout cas dans cet éditorial – un désir d’opposition à l’UDC tel qu’il lui fait prendre des chemins de pensée abscons.

D’ailleurs, la «formule magique», par quoi veut-elle la remplacer? La réponse paraît assez évidente: par un Conseil fédéral sans UDC. «Lorsque le principal parti du pays n’a d’autres discours que de prétendre qu’on peut le contourner sans risques et sans gros dommages pour notre prospérité et notre sécurité, il conviendrait tout de même de se demander, à la faveur d’une vacance fortuite, s’il a toujours sa place au Conseil fédéral.» Autrement dit: le premier parti de Suisse n’a pas des positions et des comportements qui plaisent à ma consœur, donc ce parti n’a qu’à aller voir ailleurs.

Une formule sans cesse reformulée

C’est là oublier qu’en Suisse, ce sont les deux chambres parlementaires qui représentent le peuple et les cantons: c’est ensuite à celles-ci d’élire le pouvoir exécutif. Cela, sur la base d’un attachement commun au pluralisme partisan, mais aussi à la diversité des origines cantonales et, chose sans doute encore plus essentielle, à la complémentarité des personnalités et des compétences. C’est tout cela, la «formule magique». Déterminée par la démocratie directe, elle s’adapte en permanence. Ainsi, vouloir mettre fin à la formule magique est non seulement injustifié, mais encore impossible.

Le réquisitoire de Chantal Tauxe, pour laquelle j’ai un grand respect et avec qui j’échange avec plaisir, s’avère en l’occurrence d’autant plus cocasse qu’un récent sondage a montré le profond désintérêt de la population helvétique pour la question européenne. Moi-même ne ressors guère réjoui de cet état de fait, ne serait-ce que pour la compétitivité de l’économie suisse. Mais cela ne change rien à l’affaire. Si la légitimité du Conseil fédéral avait quoi que ce soit à voir avec nos sensibilités respectives, nous voudrions tous d’un gouvernement exclusivement composé du parti qui nous convainc le plus ou nous dérange le moins.

Qu’à cela ne tienne: même quand les sièges des sept Sages étaient uniquement occupés par des radicaux (de 1848 à 1891!), le collège était loin d’être homogène. Comme le relève dans ses divers écrits sur le sujet l’historien Olivier Meuwly – un de nos contributeurs – les tensions entre les divers courants du radicalisme d’alors, centralisateurs ou fédéralistes, de gauche ou de droite, conservateurs ou progressistes, se retrouvaient au sein de l’exécutif et donnaient lieu à d’âpres batailles. Voilà pourquoi l’on peut parler, sans sarcasme, d’une formule «magique», destinée à durer.

Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com

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© Florides Helvètes

Visionner le débat auquel ont pris part Chantal Tauxe et Jonas Follonier, en compagnie de l’historien Hervé Rayner, le mercredi 12 octobre 2022 dans l’émission «Forum» de la RTS:

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