Les vendredis de la microbrasserie – Arthur Schneiter
Il est de ces questions que l’on ne se pose même plus, tant la réponse semble évidente, et dont l’aspect trivial, s’il épargne bon nombre d’arrachages de cheveux, cache en réalité tout un monde. La bière artisanale en fait probablement partie, et c’est pourquoi je voulais aujourd’hui revenir aux fondamentaux de ce qui fait cette chronique dans un petit point technique, en étant le plus complet possible sans être exhaustif. La bière: définition.
Une bière, ce sont d’abord ces ingrédients: du houblon, du malt, des levures et bien sûr de l’eau. Le houblon est une plante de la même famille que le cannabis, utilisée pour ses propriétés aromatiques, amérisantes et antibactériennes. Le malt représente la principale source de sucres (certains sucres complémentaires sont parfois ajoutés durant le processus de brassage) et il est obtenu par maltage de plusieurs céréales: l’orge, le blé ou le seigle. Le maltage consiste à faire germer la céréale et la cuire lors d’une phase de touraillage. Plus le malt est torréfié, plus il donnera un caractère prononcé au breuvage final, mais moins il produira de sucres fermentescibles. Les levures sont utilisées afin de digérer et transformer les sucres fermentescibles du malt en alcool (généralement du genre saccharomyces, mais les brettanomyces gagnent en popularité pour le goût acidulé qu’elles engendrent). Ce sont les ingénieurs microscopiques sans lesquels rien de tout cela ne serait possible.
Le brasseur joue généralement sur l’équilibrage et les combinaisons de houblons et de malts afin de donner un arôme unique à sa création. D’autres ingrédients peuvent entrer dans le mélange afin de travailler et d’enrichir le goût, comme des fruits, des baies, des fleurs, des épices, etc. Ces ingrédients peuvent varier en forme et en nombre, et c’est de la multitude de processus de brassage et de combinaisons que naît l’immense diversité de bières aujourd’hui sur le marché. Mais sans l’impulsion donnée par les microbrasseries dans les années septante en Amérique du Nord, nous n’aurions probablement pas accès à autant de variétés.
Les techniques de brassage
Généralement, le brassage consiste en des étapes successives d’empâtage et lavage des drêches, ébullition du moût obtenu et refroidissement, fermentation, et mise en bouteille. Une pratique courante aujourd’hui, chez certains brasseurs d’IPA (India Pale Ale) notamment, consiste à rajouter du houblon à froid afin d’augmenter le pouvoir aromatique de celui-ci. Dans certaines caves bruxelloises, les levures en suspension font partie du décor et viennent fermenter le moût directement sans intervention humaine – on parle alors de fermentation spontanée.
Il existe autant de techniques que de styles de bière, ainsi nous ne nous épancherons pas sur cette prodigieuse diversité. Néanmoins, si votre intérêt dans ce domaine est récent, il est au minimum important de distinguer deux processus en fonction de la température: la fermentation basse (idéalement entre 10 et 15°C, procédé à la base des lagers et principalement industrialisé) et la fermentation haute (idéalement entre 18 et 21°C, procédé à la base des ales et plus largement répandu dans la communauté des brasseurs amateurs).
Vers la fin du monopole des bières industrielles
Le procédé de base, s’il requiert au moins quelques compétences techniques de base et une rigueur quant à l’hygiène, s’apparente à de la cuisine. En témoigne le nombre de brasseries artisanales qui a explosé ces dernières années grâce aux kits et fait naître des vocations chez certains home brewers. Plus de mille brasseries en Suisse (qui détient le record mondial du plus grand nombre de brasseries par habitant) sont au compteur actuellement, et la tendance est à la hausse partout dans le monde. Les chiffres sont cependant à mettre en perspective avec ceux qui peuvent réellement vivre de leur art, et ceux qui brassent comme hobby les dimanches après-midi dans leur garage. Moins d’une cinquantaine de brasseries seraient à l’heure actuelle rentables en Suisse.
Depuis l’invention de la bière moderne au Moyen Age, un sacré bout de chemin a été parcouru, et la domination des grandes brasseries industrielles au XXe siècle semble s’effacer lentement au profit du brassage amateur. La bière tend à gagner ses lettres de noblesses, notamment face au vin, qui dans nos régions est toujours le roi des boissons alcoolisées et fait partie intégrante de notre patrimoine. Cependant, la vieille industrie ne se laisse pas faire et gangrène le mouvement craft à coup de rachats et de lancements sur le marché de ses propres «bières artisanales». Mais alors, c’est quoi, une bière artisanale?
Une bière artisanale, c’est quoi?
La définition est vague et difficile à cerner, et fait toujours débat au sein de la communauté. Globalement, on considère qu’une bière est artisanale si elle provient d’une brasserie indépendante, c’est-à-dire fonctionnant en autonomie par rapport aux grands groupes brassicoles multinationaux comme Heineken ou AB Inbev. A cette notion purement économique s’oppose parfois celle de l’échelle (à partir de combien de litres brassés ou d’employés une brasserie devient-elle trop grande pour être considérée comme «craft»?), avec sa galaxie de termes grecs comme microbrasserie, nanobrasserie, picobrasserie et j’en passe.
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L’important n’est peut-être pas dans la définition en soi, mais dans l’intention derrière la production et le rapport entre le brasseur et sa bière. Si la bière que vous buvez a été appréhendée comme une création relevant de l’artistique, et pas comme un produit de consommation à but uniquement lucratif, vous avez de grandes chances de boire une bière artisanale. Dans cette chronique hebdomadaire, nous essayons principalement de vous donner un aperçu du vaste spectre que représente l’univers de la bière, au travers des brasseries suisses avant tout, mais aussi au travers d’une lecture plus générale de celui-ci.
Gardez un esprit ouvert et critique lorsque vous voyez la mention «bière artisanale», renseignez-vous sur la brasserie à l’origine de sa production, les houblons et malts utilisés pour son élaboration, discutez avec la personne qui vous l’a servie (et si vous en avez la chance, avec la personne qui l’a brassée!) et confrontez vos goûts aux siens. Parlez de vos découvertes à vos proches, sensibilisez-les au fait que la bière, aujourd’hui, ce n’est plus simplement une pils industrielle blonde sans âme, mais une panoplie de goûts répondant aux doux noms de New England India Pale Ale, Imperial Stout, Gose, Barley Wine, Witbier, Gueuze, ou encore Porter.
Un grand merci à Camille Spühler de la Nébuleuse pour ses précisions sur certains points techniques.
Ecrire à l’auteur: arthur.schneiter@leregardlibre.com
1 commentaire
Une très bonne définition, avec une belle mise en avant de la scène craft, je ne peux que valider !