Les mercredis du cinéma – Loris S. Musumeci
La tempête éclate. Attention, danger! Les secours s’activent pour sauver la population et les randonneurs pris de court par le déferlement de pluie. Constat de dernière minute: des personnes à sauver manquent à l’appel. Elles sont bloquées en forêt. Il faut cependant rappeler les services de sauvetage, la situation est trop dangereuse. Seul un bénévole s’est obstiné à poursuivre la mission. «Un gars qui nous donne régulièrement des coups de main», selon le commandant de la police.
En héros, le bénévole en question revient le destrier chargé d’une jeune femme. En héros déchu, se sentant constamment coupable de n’avoir pas pu faire assez, il voit défiler les brancards de deux victimes qu’il n’a pas réussi à sauver. Le ton est donné. C’est John Rambo qu’on retrouve. Toujours aussi fort, malgré l’âge; toujours aussi rongé de l’intérieur, malgré le calme et la résilience.
Sa vie semble en effet plutôt paisible à présent: il habite un charmant ranch avec une vieille amie – sa sœur de cœur, Maria – et Gabrielle, la petite-fille de cette dernière – nièce de cœur, aimée comme si elle était sa propre fille. La jeune Gabrielle a toujours été couvée et protégée par John et Maria. Désormais, elle a grandi. Retrouvé les traces de son père biologique. Un salaud. Qui vit au Mexique. Malgré l’interdiction de s’aventurer en ces terres hostiles d’outre-frontières étasuniennes, Gabrielle part. Et n’en revient pas. Rambo s’élance à son tour au-delà des frontières. Il peut tout perdre, mais pas sa petite.
Un constat d’échec unanime
La critique est assez unanime sur l’échec de Rambo: Last Blood. Jugé tantôt raciste pour le stéréotype qu’il renvoie des Mexicains, simpliste par la pauvreté de son scénario, et ridicule par les prestations piteuses des acteurs. On a beau vouloir aller à contre-courant, il faut reconnaître que l’ensemble de ces critiques a plus ou moins raison en dépit des exagérations. Ce cinquième épisode serait-il le pire de tous? Sans doute.
De toute façon, la saga de l’ancien du Viêt-Nam n’est selon moi jamais arrivée à la cheville des Rocky Balboa. Les deux histoires légendaires sont pourtant portées par le même Stallone. Un Stallone qui demeure toujours le même héros du cinéma, qu’il s’affiche dans un navet ou dans un chef-d’œuvre. Un Stallone qui réussit à rendre un Rambo: Last Blood appréciable.
Effectivement, la photographie n’accomplit aucun prodige. Elle est même assez laide, à l’exception de quelques prises de vue de la campagne texane. L’histoire ne manque pas, quant à elle, d’être un peu bébête. Ce n’est pas la psychologie des différents personnages qui va d’ailleurs l’enrichir. Ils sont tous assez stéréotypés, sans grand intérêt.
Stallone reste Stallone
Mais, comme dit, Stallone reste Stallone. Et c’est toujours un plaisir de le voir à l’écran. Avec sa gueule cassée et son corps sculpté, son personnage raconte l’acteur. Comme Rocky révèle Stallone de film en film, de ring en ring, de coup en coup. Ainsi, dans son rôle du vétéran de guerre jamais remis de ses traumatismes, il est touchant. Parce qu’il incarne le type en décalage par rapport à la société. Rambo est perdu, rattrapé par ses vieux démons. Le film montre d’ailleurs assez bien comment il essaie de réintégrer une société qu’il ne connaît toujours pas. Lui qui a peut-être raté sa vie en réussissant des exploits guerriers cherche à donner un sens à son existence.
Là, l’émotion bat son plein. Dans la relation paternelle qu’il entretient avec Gabrielle. Dans sa voix rauque et hésitante qui dit l’affection par des petites banalités. Dans des phrases, des bribes de phrases même, qui illuminent l’humanité de celui qui, malgré lui, a agi sa vie durant en assassin. «–C’était comment l’armée?», lui lance Gabrielle en discussion. «–Oh, je m’y suis fait les meilleurs amis», lui répond-t-il, le regard gêné et ému. La scène en question, aussi courte soit-elle, touche sincèrement et engage un instant de réflexion sur la joie de l’amitié, malgré des circonstances dramatiques. Des amis dans une armée en guerre, ce sont des amis dont on se prépare au quotidien à pleurer la mort. Stallone a le pouvoir de faire passer des sentiments aussi intenses. Parce que son jeu est toujours vrai, son jeu est toujours digne, son jeu est toujours issu de l’intimité de sa personne forte et sensible. Même dans un navet.
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Crédit photo: © Elite Film