Les mercredis du cinéma – Nicolas Jutzet
Une nouvelle fois, Steven Spielberg voit et touche juste. En permettant à une thématique parfois oubliée de ressortir des cartons, il réveille non seulement des souvenirs mais vient alimenter une discussion ô combien actuelle. Tout tourne autour du Premier Amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique, qui interdit au Congrès d’adopter des lois limitant la liberté de religion et d’expression, la liberté de la presse ou le droit à « s’assembler pacifiquement ». Il est question de liberté et de lutte pour cette dernière. Après Il faut sauver le soldat Ryan, le voilà qui se penche au chevet d’un monde qui traverse aujourd’hui une crise profonde : la presse.
En abordant la thématique de façon indirecte, il permet à chacun de voir le film avec le degré de réflexion qui lui sied. Certains y verront un simple rappel historique, d’autres l’expression d’un combat continu d’une profession chahutée par les nouvelles façons de consommer et par l’instabilité générale. D’autres encore s’attarderont sur le rôle central joué par Meryl Streep et Tom Hanks. La première, qui interprète Katharine Graham, la patronne du Washington Post, opère une mue spectaculaire, passant de la femme et fille “de” à cheffe éclairée qui tranche, avec sang-froid. Tom Hanks, son rédacteur en chef caractériel Ben Bradlee qui veut faire du Washington Post un journal reconnu sur le plan national. Les projections se suivent et Tom Hanks reste sublime, souverain, parfaitement à l’aise dans son rôle.
L’Etat, ce danger
Le film fait office de rappel salutaire. La machine d’Etat, loin d’être libératrice, est cynique et lutte pour ses propres intérêts. Continuer une guerre vouée à l’échec ? Envoyer la jeunesse à la mort, pour éviter de perdre la face ? Pour s’épargner la disgrâce et une fin de carrière politique abrupte ? Censurer un journal ? Tenter de cacher la vérité au peuple ? S’asseoir sur la Constitution ? Oui, l’Etat, c’est également tout cela. Cette machine qui broie, qui complote, qui frappe, qui tue.
En face, des héros. Simplement. Des héros qui se battent pour défendre la beauté de leur métier, leur déontologie, la Constitution et pour la vérité. Pour qu’elle éclate. Pour qu’elle éclabousse. Certaines guerres se gagnent sans armes, sans violence, mais avec de l’encre et du papier. Elles sont de celles qui méritent notre engagement.
Le film se termine en faisant allusion à la prochaine étape qui attend l’intrigant Nixon. Le Watergate finira par le faire chavirer, mais comme le film le démontre, le navire prenait l’eau depuis bien longtemps. Et une cale sans fond mérite son naufrage…
Pentagon Papers vient rappeler que toute proximité entre l’Etat et la presse qui doit être indépendante serait dommageable. Tant pour la crédibilité de cette dernière que pour la sa capacité à être indépendante et à s’attaquer à la violence et aux mensonges de la force publique. Seule une presse libre peut s’y atteler. Battons-nous pour lui laisser cette liberté de ton.
Ecrire à l’auteur : nicolas.jutzet@lereregardlibre.com
Crédit photo : © Universal Pictures