Connu pour sa Palme d’or sur la thématique de l’avortement avec 4 mois, 3 semaines, 2 jours (2004), le réalisateur roumain Cristian Mungui démêle dans R.M.N. les rancœurs populistes tenaces d’un village transylvanien sous le joug de l’UE.
Alors que les fêtes hivernales approchent, le berceau de Dracula voit rouge. L’arrivée de quelques ouvriers sri-lankais, tous venus prêter main-forte à la boulangerie industrielle locale, échauffe les gosiers. Parallèlement, Matthias (Marin Grigore), délocalisé en Allemagne, claque la porte de son employeur et retourne dans sa région natale. Il y retrouve son fils Rudi et sa femme Ana (Macrina Barladeanu) qu’il laisse indifférente. Mais en croisant à nouveau Csilla (Judith State), cheffe adjointe à la panification, le passé se ravive.
Filmer à la loupe
Il y a tout juste une année, Xavier Giannoli nous livrait une savoureuse adaptation du roman balzacien Illusions Perdues. En nous plongeant dans les rouages de Paris sous la Restauration, nous accédions à l’implacable mécanisme des milieux artistiques. Un microcosme sous-terrain d’arrangements clandestins et de promesses trompeuses dévoilait l’organisation close d’un système qui faisait et défaisait la popularité et les réputations dans l’art. Si le personnel romanesque de R.M.N. (I.R.M en français) est populaire et davantage déterminé par sa propre survie, le principe du film franco-roumain est identique.
Le truchement de la caméra chez Mungui dissèque la Transylvanie, aux confins de l’Occident. Une véritable fourmilière, tant elle est l’héritière des guerres. Hongrois et Roumains y vivent aux côtés d’une minorité d’Allemands et quelques Roms. Ces derniers ont été chassés, nous dit-on. Sarcastique quand en Allemagne et en Europe, l’amalgame entre Roumains et Roms est naturalisé. Le flou de ce brassage multi-ethnique se retrouve dans la pluralité des langues parlées dans un même village. Une vérité qui n’échappe pas à la catégorisation économique: Matthias se plaint auprès de la mère de son fils. Le petit a cessé de pratiquer la langue de Goethe après son départ. C’est que tous savent que le travail ne court pas les rues et que les salaires sont misérables.
Tellement misérables que les habitants préfèrent toucher leurs allocations chômage que de se faire embaucher dans l’usine à pain, où la rémunération est au SMIC local. De son côté, la petite entreprise se doit d’engager de la main d’œuvre rapidement afin d’atteindre ses objectifs et d’être éligible aux subventions de l’Union européenne (UE).
Assister à la naissance de l’impossible
R.M.N. pourrait se contenter d’être un film binaire pessimiste. D’un côté, l’UE, mastodonte impitoyable et exigent. De l’autre, la montée des thématiques populistes. Avec un long-métrage tourné uniquement en plan-séquence, les dialogues et les situations transpercent l’écran par leur clairvoyance. On pense à un plan fixe dans l’église, où le maire du village se retrouve devant trente villageois, séparés en deux clans. Pendant plus de quinze minutes, les arguments pour et contre la présence des trois travailleurs sri-lankais font appel à des préjugés racistes, sous fond de dégoûts des cols blancs bruxellois. Sous nos yeux ébahis, la raison perd face à l’imposture édifiante.
Les détails se trouvent également dans la composition du cadre. Comme ce jeune homme au premier plan dans l’église, assis de biais. Allégorie d’une jeunesse désemparée ou distance vis-à-vis des querelles d’outre-guerre? Reste, dans cette radiographie des consciences, une frénésie bouillonnante prête à jaillir au dehors.
Ecrire à l’auteure: fanny.agostino@leregardlibre.com
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Crédits photos: © cineworx