Le journaliste suisse Jacques Pilet a sorti en août dernier son deuxième roman aux Editions de l’Aire, Hôtel Belvédère. A sa lecture, nous nous plongeons dans la Suisse de 1914. Au sein d’une Europe en feu, un jeune fils de paysan veveysan, Jules, qui découvre l’amour avec une étudiante russe et décide de partir en Afrique. Un récit prenant, qui nous parle de l’Histoire tragique au moyen d’une histoire sympathique.
La Suisse d’il y a un siècle, qui s’y intéresse encore? Et l’histoire de notre pays, de notre continent, l’histoire du monde, qui la connaît encore? Jacques Pilet fait partie des personnes qui sauvent l’honneur de ces deux questions. Fondateur entres autres des publications Le Nouveau Quotidien et L’Hebdo, le journaliste que l’on peut souvent lire durant la semaine chez nos amis de Bon pour la tête a toujours cultivé un grand intérêt pour l’histoire et la politique. Et entre autres pour l’Europe, son destin, ses qualités, et la place de la Suisse au sein de celle-ci.
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Fidèle à son amour, il choisit le format du roman pour nous parler d’Europe d’une autre manière. La littérature, un format pas si différent que cela du journalisme, me concédait-il il y a quelques semaines. Un exercice néanmoins fort différent dans la pratique, nuançait-il, dans la mesure où il faut mettre en place un récit d’une certaine longueur. En tant que lecteur, il est intéressant de constater que le style du romancier n’est pas éloigné du style du journaliste et éditorialiste: nous avons affaire à des phrases directes, élégantes, piquantes parfois, souvent courtes. Toujours équilibrées.
«Les journaux ne parlaient plus, comme au début, d’une guerre rapide. Les fronts se figeaient dans le froid. L’hiver s’annonçait affreux. Les offensives alternées tuaient des milliers d’hommes du côté de la Champagne.»
La petite histoire dans la grande
Au cœur du récit, une omniprésence de l’histoire qui est en train de s’écrire, de la guerre, pas si lointaine, qui est en train de se profiler, et une omniprésence des journaux pour les raconter. Et outre les gazettes, une nuisette, celle de Tatiana, une jeune étudiante russe proche des milieux révolutionnaires et qui va apprendre l’amour à Jules. Pour réussir l’art du roman, il faut certes avoir l’étoffe de quelqu’un qui conte une histoire, mais sans doute faut-il également être un narrateur témoignant d’une certaine sensibilité. L’histoire du jeune Jules dont nous suivons les mouvements et les questionnements, notamment sur le plan sentimental, est un terrain propice au pari de l’écriture romanesque. Jacques Pilet le réussit.
«Adolescent, il ne sentait rien ou ne croyait rien sentir. Mais depuis quelque temps, il se surprenait à soulever le couvercle de la casserole au bouillon, à humer les légumes. Il passait son avant-bras nu sous son nez comme s’il y cherchait un parfum d’homme. La nuit, il caressait de plus en plus souvent son sexe. Il durcissait vite mais tardait à lâcher son sperme, faute d’image de femme. Celles qui vagabondaient dans sa tête étaient si loin.»
Et c’est la deuxième partie qui est certainement la plus captivante. Passant à la première personne, la voie narrative se veut à fleur de peau. On passe aussi de la Première à la Seconde Guerre. Désormais bien installé en Afrique, colon mais pas raciste, Jules a conscience d’une histoire jamais à l’abri du déraisonnable. C’est dans des circonstances particulières que le narrateur a choisi de livrer son récit. Il y a un parfum de bilan et de vérité. Et évidemment un peu de Jacques Pilet dans la psychologie de ce personnage, inspiré par Henri du même nom, exilé vaudois en Afrique et décédé à Bobodioulasso en 1942.
Ecrire à l’auteur: jonas.follonier@leregardlibre.com
Jacques Pilet
Hôtel Belvédère
Editions de l’Aire
2019
188 pages
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