Chaque mois, notre critique littéraire s’attache à passer une œuvre au kaléidoscope, afin de récolter les images qu’elle projette et de restituer leurs diffractions. Quitte à ce que les éclairs de génie s’avèrent des éclats de verre.
Un an après la sortie de son précédent opus, Quentin Mouron revient titiller les librairies romandes. Dans son septième roman, il s’intéresse aux relations amoureuses, en faisant se répondre deux histoires inverses. Et puis une troisième s’y glisse, dans l’embrasure d’une nostalgie.
Disons-le d’emblée: ce qu’il y a de plus laid dans ce dernier roman de Quentin Mouron, c’est la couverture façon Diddl d’un tableau pixelisé de Mucha qui l’orne. Tout le reste, fort heureusement, est de belle facture.
La fin de la tristesse, c’est l’histoire d’un homme qui cherche à se guérir du vide en le regardant bien en face, le récit de personnages qui pensaient pouvoir aimer sans se mentir et qui découvrent que tout le monde joue un rôle, eux les premiers. Entre l’amour, la fatigue et la lucidité, un homme et les autres traversent le désert d’une époque sans promesse, traquant non pas le bonheur, mais une raison d’y croire encore.
«On ne revient jamais impunément sur les lieux d’un amour assassiné»
Dans la lumière tapageuse de juillet, au milieu des rires d’enfants et du roulis des vagues, Anastasie dévisse le bouchon d’un jerricane, craque une allumette et sort de la chambre comme Antonin était sorti de leur relation cinq ans auparavant. Quelques instants plus tard, les flammes auront fini de totalement ravager l’appartement de leurs dernières vacances, ainsi que celui d’au-dessus, où séjournent Gilles et Clémence, un couple enlisé dans sa routine. Des protagonistes qui n’avaient aucune raison de se croiser, mais qui comme au théâtre voient leurs destins se piétiner, puis s’accommoder.
Dans un monde où les passions se consument plus vite qu’elles ne s’allument, La fin de la tristesse raconte la dérive de quelques âmes modernes qui tentent, après la calcination d’un amour et la ruine des certitudes, de réinventer une forme de douceur possible. On y lit la lassitude d’aimer, la beauté qui s’obstine, la tendresse qui se faufile entre les doutes.
Une prose tenue, des défauts ténus
Si les premières pages de La fin de la tristesse reprennent la mécanique d’écriture de La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme (chapitres courts, longues phrases sans point, poème narratif en guise de conclusion), on se rend très vite compte qu’on tient là quelque chose de maîtrisé.
Quentin Mouron semble s’être appuyé sur les ressources de son précédent roman, mais en gommant ses défauts et ses scories, ce côté trop ébauche. Le procédé a maturé et désormais s’épanouit la force des images et ruptures stylistiques. Le propos ne cavalcade plus, il gravite et la prose distendue de l’auteur s’entortille autour de sentences affûtées et de lyrisme bien apprêté.
Et si quelques longueurs et incompréhensions narratives se font sentir (les longues scènes avec comme décor la crise sociale et les émeutes estivales de 2023), le romancier reprend habilement la main sur son œuvre en s’y invitant, d’un coup de baguette magique autofictive. C’est indéniablement un livre qui suscite des débats intérieurs et qui donne envie d’interroger l’auteur sur ses choix d’écriture et ses partis pris esthétiques. Chez Mouron, la tristesse ne meurt jamais tout à fait; elle apprend simplement à mieux parler.
Quentin Perissinotto est critique littéraire au Regard Libre. Ecrire à l’auteur: quentin.perissinotto@leregardlibre.com
Vous venez de lire une critique en libre accès, tirée de notre édition papier (Le Regard Libre N°121). Débats, analyses, actualités culturelles: abonnez-vous à notre média de réflexion pour nous soutenir et avoir accès à tous nos contenus.

Quentin Mouron
La fin de la tristesse
Editions Favre
Août 2025
160 pages