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Rencontre avec Thierry Jobin, amoureux du cinéma et directeur artistique du FIFF10 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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Le Regard Libre N° 50 – Loris S. Musumeci

Dossier spécial FIFF 2019

Thierry Jobin est malade. Il a la maladie d’amour. Pour le cinéma. Et attention, parce qu’il est contagieux. Impossible de ne pas se passionner en discutant avec lui, pour découvrir des films et un autre cinéma. En nous racontant son parcours, il dresse un bilan positif de la dernière édition du Festival International de Films de Fribourg (FIFF) qui s’est tenue du 15 au 23 mars derniers. Sans manquer non plus de nous faire part d’épisodes délicieux et de ses rêves pour les éditions à venir. 

Loris S. Musumeci: Quel a été votre parcours avant de devenir directeur artistique du FIFF?

Thierry Jobin: A l’âge de dix ans, j’ai commencé à collectionner tout un tas d’objets liés au cinéma. J’habitais à Delémont, et j’étais un des trois cinéphiles de la ville, avec mon professeur de mathématiques et un autre professeur retraité. Ce professeur de mathématiques écrivait des chroniques cinéma dans Le Démocrate et intervenait à Radio Fréquence Jura. Lorsqu’il a décidé de cesser cette activité, on m’a contacté pour reprendre sa place. Evidemment, j’en fus ravi. Une fois que je suis entré à l’Université de Fribourg, je travaillais déjà pour quatre journaux et une radio. En fait, les études servaient surtout à rassurer mes parents. Ce qui ne m’empêchait d’aller de l’avant avec mes articles. Dès 1992, j’ai écrit pour Le Nouveau Quotidien, révolutionnaire pour la presse romande, pour être engagé en 1998 au Temps, né de la fusion entre Le Nouveau Quotidien, La Gazette de Lausanne et Le Journal de Genève. J’étais chargé de l’agenda culturel et responsable de la rubrique cinéma. En outre, je me suis occupé pendant six ans de chroniques cinéma à la RTS. Tout cela a duré jusqu’en 2011. Telle était ma voie; j’ai toujours été au bon endroit au bon moment. Avec beaucoup de chance.

L’élément déclencheur de votre entrée au FIFF?

L’ancien directeur artistique, Edouard Waintrop, qui lui venait de Libération, avait été engagé à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Directement, il m’a appelé pour me proposer de postuler et reprendre sa place. On m’a pris. Bon accueil du comité, et j’ai pu commencer à changer les choses. Comme la création de nouvelles sections. En vue de démocratiser le festival, par la proposition de westerns ou de comédies romantiques. Là, l’affluence a explosé. Dès ma première année, en 2012, le public a rajeuni de dix ans. Mais surtout, nous sommes passés de 30’000 à 36’000 spectateurs, pour évoluer sans cesse vers 40’000 et plus. 

La structure du festival joue-t-elle directement un rôle dans la croissance du succès?

Je pense que l’un des éléments majeurs du succès a été la diminution du nombre de films. Parmi les grands festivals suisses, nous sommes celui qui compte le moins de films à l’affiche. Cela limite le choix et crée une certaine cohésion entre les festivaliers qui ont plus de chance de voir le même le film et de vivre, somme toute, une aventure commune. 

C’est la deuxième année que je participe au FIFF, et je dois vous avouer avoir été stupéfait de voir à quel point le public est populaire. Je suppose que c’est de votre plein souhait. 

Absolument! Non seulement c’est notre souhait, mais en plus je suis heureux d’entendre que vous avez été marqué. Toutes les couches de la population assistent aux séances du festival, et surtout toute tranche d’âge. On reçoit notamment beaucoup d’enfants et des étudiants car nous organisons les plus grandes scolaires de Suisse. Le but est d’ailleurs d’avoir un festival à taille humaine, où l’on trouve à la fois du patrimoine, de la découverte d’autres cultures et du cinéma populaire. Si l’on veut comprendre un pays comme la Chine, on ne peut pas le faire en ne passant que du cinéma d’auteur. Il faut montrer aussi ce que les Chinois vont voir dans les salles. 

Quel est concrètement votre travail tout au long de l’année pour préparer l’événement?

Les gens me demandent souvent pourquoi je suis payé à 100% toute une année pour un festival qui ne dure qu’une semaine. D’abord, il y a la programmation. Elle se compose de beaucoup de voyages qui me prennent facilement trois mois. Je dois me rendre aux plus grands festivals, tels Cannes, Toronto, Busan, etc. Ensuite, je passe énormément de temps à regarder des films ici à Fribourg – 2’500 films pour la dernière édition. Enfin il y a toute la partie promotion, pas seulement du festival mais de nombreuses associations qui ont un partenariat avec la ville de Fribourg. Cela demande l’analyse de projets au sein de commissions pour développer le cinéma dans les pays dits émergents. Bien sûr, il faut également consacrer du temps à la mise en place d’une équipe avant le festival. 

Que peut apporter le FIFF à la ville de Fribourg, et même à la Confédération?

Le centre reste Fribourg. C’est ici que se mettent en place toutes les synergies avec d’autres organisations. De nombreux liens se créent évidemment avec la politique et l’économie au niveau cantonal et même suisse. Une étude qui a été réalisée dit que chaque franc investit dans le festival rapporte entre trois et sept fois à l’économie locale, entre restaurants, hôtels et commerces. Vous pensez bien que nos invités dépensent rapidement de grosses sommes pour rapporter chez eux du fromage et du chocolat! Je vous dirais même que Fribourg est connue internationalement. Le festival est presque plus respecté dans le monde que localement. 

Nul n’est prophète en son pays!

(Rires)

Qu’est-ce que votre festival de films apporte au monde du cinéma?

Le principe du FIFF est de proposer la découverte. Pour ce faire, il faut aller chercher des films dans les coins mal éclairés, hors du marché. Aider des cinématographies à se développer, c’est participer aussi à la promotion de la démocratie. Un pays qui peut s’exprimer par le film protège déjà en quelque sorte sa voix démocratique.

Les films que vous choisissez ont une grande portée esthétique, cinémas populaire et d’auteur confondus, et souvent philosophique aussi. Sans prétention, voulez-vous éduquer les regards et offrir une vraie expérience de cinéma?

S’il n’y a pas de festivals comme le FIFF, quelle est l’offre proposée aux gens? On serait toujours dans le même langage cinématographique, ce serait toujours les mêmes cultures qui s’exprimeraient. Il est absolument nécessaire d’apporter au public la connaissance d’autres cultures, d’autres manières de raconter des histoires. La méconnaissance crée la méfiance; la méfiance, l’intolérance; l’intolérance, l’extrême droite. On veut se battre contre ce cercle vicieux. 

Vous vous réappropriez également certains films plus anciens pour transmettre un message à la société d’aujourd’hui. 

Exactement. Et j’aime le faire à travers des cartes blanches. J’offre à des cinéastes de choisir des films. Je ne voudrais pas en effet choisir tous les films. 

Quel est votre bilan général de l’édition 2019?

Je me guéris toujours du post-partum dépressif du festival en faisant signer un livre d’or. Et c’est juste beau de voir que les invités et le public aiment la convivialité que nous leur offrons. Il est important pour moi de faire un festival qui ressemble à la ville de Fribourg. Simple, convivial, sans prise de tête, une rencontre autour d’un verre, l’hospitalité. Il y a deux ans, nous avions connu une édition assez difficile qui nous avait contraints à baisser le nombre de films. Et par cette baisse, on a commencé à faire plus d’entrées. Cette année, très curieusement, on a eu un tout petit  peu moins de spectateurs «à cause» du beau temps, mais on a fait plus d’argent en terme de recettes. Probablement que plus de personnes ont pris des billets à la pièce, plutôt que des abonnements. 

Les spectateurs ont donc davantage improvisé leur séance en se disant «pourquoi ne pas aller voir ce film aujourd’hui?»

Si c’est ça, ça me plaît! Les gens ne sont pas forcément venus sur la longueur, mais par curiosité. Peut-être qu’un nouveau public est en train de se profiler. Maintenant, on voit aussi qu’après deux éditions assez semblables au niveau de l’affluence, il faut un élément déclencheur pour évoluer de manière radicale, sans changer l’esprit du festival. Si on avait un budget  de 300’000 ou 400’000 francs de plus, on pourrait notamment tout sous-titrer en allemand. Ce serait excellent pour le public, et ouvrirait davantage le festival à la Suisse alémanique. Je ressens en outre des limites pour l’hospitalité. Dès que je touche à quelqu’un qui est bien connu, je me rends compte que l’accueillir à Fribourg n’est pas toujours évident. Même si des Charles Aznavour, des Eric Cantona ou des Ken Loach ne m’ont jamais demandé un sou; ils étaient simplement ravis d’être là.

Comment les évolutions peuvent-elles se déclencher?

Il faut que nous nous mettions tous ensemble, avec le monde de l’économie, de la politique et les autres acteurs culturels, pour décider si oui ou non, nous voulons faire du FIFF un événement exceptionnel. Le festival fait rayonner la ville et le canton d’une manière au moins aussi forte que Gottéron, notre club de hockey. Il y a donc plus à faire. 

Ce qui est en totale cohérence avec l’identité de Fribourg et les projets qu’elle a déjà. 

Oui, c’est une ville incroyable qui porte haut l’ouverture, la culture, la vie intellectuelle. Sans parler de l’offre médiatique. Je suis tellement heureux d’annoncer à mes invités des interviews avec La Liberté, avec d’autres journaux de qualité, à la radio, la télévision. L’offre en matière de cinéma est extrêmement prestigieuse aussi. Les blockbusters prennent évidemment beaucoup de place, mais le cinéma d’auteur n’est pas occulté pour autant. Même s’il faut que nous nous bougions pour préserver les films que propose le cinéma Rex. Je précise néanmoins que cette injonction à aller de l’avant n’est pas une critique adressée aux politiques. Ils font ce qu’ils peuvent; et ils font déjà beaucoup. Il faut accepter aussi qu’il y ait au début toujours une petite méfiance à l’égard du monde de la culture, et c’est normal. Je pense néanmoins que nous avons prouvé ces dernières années que nous sommes sérieux et fiables. 

Vous m’avez parlé de vos désirs pour le festival, et vos désirs pour le cinéma, vous qui en êtes amoureux?

Tout simplement, que les gens continuent à y aller. Franchement, il n’y a rien de mieux que de se retrouver tous ensemble en salle pour voir un film. D’ailleurs, cette année nous avons passé Get Out de Jordan Peele et avons fait salle comble. J’étais stupéfait, et j’ai dit à des spectateurs qu’ils payaient 17 CHF pour voir le film en salle, alors qu’ils auraient pu acheter le DVD à 12 CHF dans les commerces. Et on m’a répondu que ce qui faisait plaisir, c’était de sortir avec des amis et aller tous en salle pour voir le film.

En se déplaçant, en sortant de chez soi, on vit réellement quelque chose. La sortie au cinéma est en fait une célébration du septième art.

Absolument, et au niveau de la qualité, il n’y a pas photo. Voir Breakfast at Tiffany’s, avec Audrey Hepburn, ou The Sugarland Express de Spielberg en salle, c’est comme aller voir la Joconde au Louvre alors qu’on ne l’avait vue qu’en carte postale. Franchement, quand avec l’équipe on a su qu’on allait avoir au festival Diamants sur canapé autrement dit Breakfast at Tiffany’s en version restaurée, on a eu les frissons! Et à la projection, on a pleuré!

Revenons un peu en arrière dans le temps, et dites-moi quel a été votre meilleur souvenir depuis 2011 en tant que directeur artistique du FIFF.

Un des derniers merveilleux souvenirs a été la venue de Adewale Akinnuoye-Agbaje, réalisateur de Farming, qui était membre du jury cette année. Cet homme est en fait acteur avant d’être réalisateur – Farming est d’ailleurs son premier film –, et il a joué entre autres dans Lost, Game of Thrones; il a partagé le plateau de tournage avec Jean-Claude Van Damme, Sylvester Stallone, Robert De Niro, Jason Statham et d’autres vedettes. Après de longues négociations avec une agente à Los Angeles, il a fallu organiser une série d’éléments inimaginables, comme une limousine pour aller le chercher chez lui, à Londres, et j’en passe. Quand Adewale est arrivé ici, il a vu des films de toutes les nationalités, il a mangé au même endroit que tout le monde, pas de tapis rouges, pas de barrières, pas de coins VIP. Tout ça lui a fait à proprement parler une cure! 

Dans quel sens?

Ça lui a fait un grand bien. Il a découvert un autre cinéma, une autre manière de raconter, et surtout la simplicité d’un petit festival. Il a été si heureux que, depuis, il m’écrit tous les jours. Nous sommes en train de voir désormais s’il ne veut pas faire venir ses amis, grands acteurs, pour vivre une semaine différente, avec un autre regard. Que le FIFF devienne un endroit où l’on revienne à la base! On y sollicite beaucoup les invités, pour voir des films, donner des interviews, découvrir la ville, boire des verres et manger la fondue! Avec Adewale, une fenêtre s’est ouverte. Qui tisse un lien entre le cinéma commercial et le cinéma d’auteur, pas incompatibles. Moi j’aime tous les genres, comme toute l’équipe artistique: on aime juste les bons films. Et comme disait François Truffaut: «Je préfère un mauvais film commercial qu’un mauvais film d’auteur, parce qu’un mauvais film d’auteur c’est tout de suite ennuyeux, tandis qu’un mauvais film commercial peut être divertissant.»

Pour avoir accès au reste du dossier sur le FIFF 2019, une seule chose à faire: commander notre cinquantième édition!


Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo: © Indra Crittin pour Le Regard Libre

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