Les mercredis du cinéma – Alexandre Wälti
Ce qu’il y a de bien avec les cycles de Passion Cinéma, c’est que le spectateur ressort rarement déçu d’une projection. Heureusement qu’ils existent, particulièrement en fin d’année. Ils contrent l’invasion des blockbusters avec leur lot de sensationnel et d’explosions, si loin de la finesse de Derniers jours à La Havane du réalisateur cubain Fernando Pérez.
Dès la scène d’ouverture, la succession des gros plans impose un certain cinéma: intimiste et profond. La caméra suit les expressions faciales de Miguel (Patricio Wood, torturé) alors qu’il fait la plonge dans un restaurant sans histoire. Il sort, traverse les rues de La Havane. Fernando Pérez le filme comme dans un documentaire, le faisant avancer dans le chaos urbain de la ville dans l’indifférence la plus totale.
Il entre ensuite dans un bâtiment communautaire aux murs décrépits, croise un coiffeur dans le hall d’entrée, un livreur d’œufs dans les escaliers, une femme qui chante (Yailene Sierra, désespérée) au premier étage et Fefa (Carmen Solar, bienveillante), l’afro-cubaine vaudouisante, la voisine. Il est soudain dans la cuisine d’un deux pièces et s’occupe de son ami mourant. Il partage l’appartement avec Diego (Jorge Martínez, brillant), l’homosexuel mourant. Autant dire que ce n’est pas la meilleure condition dans un pays encore très machiste, comme le laisse deviner le propos du film. Le tout s’enchaîne par des séquences où les premiers plans comprennent toujours un ou plusieurs éléments qui donnent de la profondeur à l’image. Le cadre est posé, les personnages banals grandissent au fil des questions que le film pose.
Une histoire d’amitié et de forces nouvelles
L’ouverture de Derniers jours à La Havane, à la manière des premières lignes d’un roman, contient tout l’œil aiguisé que le cinéaste Fernando Pérez pose sur son pays. La suite? Cuba et ses différentes problématiques sociales entrent progressivement dans l’appartement, grâce aux nombreux personnages, et atténuent le huis clos dans lequel se trouvent Diego et Miguel. Cet enfermement devient alors l’endroit de la plus grande liberté. Le malade, alité tout au long du film, est plus vivant que son ami sain d’esprit. Que font-ils ensemble? Pourquoi Miguel s’occupe-t-il de Diego? De quoi souffre-t-il ? Toutes ces questions se bousculent tandis que les jours défilent explicitement à l’écran, comme dans un journal intime visuel.
Quand la jeune Yusi (Gabriela Ramos, bouleversante), en fugue, entre dans l’histoire par l’armoire de la chambre de Diego, la tornade de la jeunesse cubaine trouve sa voix. Un personnage d’autant plus attachant qu’il n’a aucun filtre; ses pensées sortent sans place pour la réflexion ni pour la censure. Insolente, touchante et fragile. Elle redonne le sourire et des couleurs au faux oncle Diego, toujours plus affaibli par la maladie. La photogénie de la jeune actrice Gabriela Ramos est saisissante. Elle aspire littéralement toute l’attention.
Un portraitiste subtil
Une phrase résume peut-être Derniers jours à La Havane: le détail est au centre du regard de Fernando Pérez et tout le reste dans les acteurs. Le réalisateur les filme au plus près. Comme lorsqu’il s’arrête sur le mouvement des mains ou lorsqu’il suit la marche de Miguel avec la caméra filmant par dessus les épaules du personnage. Diego guérit en mourant. Miguel meurt de vivre un rêve lointain. Voilà l’autre manière de dire le film en peu de mots.
C’est un cinéma parfois presque physique, en immersion dans une réalité sociale que le réalisateur cubain connaît et dépeint avec précision, laissant même une place importante à la voix de la rue. Notamment par le message d’un graffiti qui apparaît toujours à un moment charnière de l’intrigue. Le «Libert» dont la fin est coupée par le poteau vieilli d’un bâtiment havanais en est le meilleur exemple.
Fernando Pérez immortalise une photographie mouvante de La Havane. Un instantané d’histoires. Tel le photographe qui prend un cliché disant bien plus qu’une simple image. Et que dire de l’épilogue du film? Magistral.
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Crédit photo: © cinergy.ch