Les mercredis du cinéma – Marina De Toro
Les lumières éclairent gentiment la salle, le générique de fin défile à l’écran et les sièges sont lourdement silencieux. Certains spectateurs ont de la peine à décrocher leurs yeux de l’écran, car le film qu’ils viennent de voir les a laissés sans voix. Voilà la réaction que peut susciter le long-métrage Jusqu’à la garde réalisé par Xavier Legrand. Ce film nous parle de la complexité des relations familiales, parfois malsaines, et surtout de la difficile épreuve du divorce.
Le couple Besson est face aux juges pour décider de la garde de leur fils Julien, mineur et terriblement en colère contre son père. Miriam veut la garde exclusive et accuse son mari d’avoir violenté son fils et sa fille Joséphine, désormais majeure et libre de ses choix. Antoine, le père, reproche à Miriam sa manipulation, ses mensonges et leur rupture précipitée. Le spectateur se trouve dans une situation compliquée face à deux époux en contradiction. Il ne peut pas encore décider de la véracité d’une version puisque le passé des protagonistes n’est pas connu. Alors qui a raison? Et pourquoi Julien refuse-t-il tout contact avec son père qu’il surnomme «l’autre»? Ce sont là les questions qui nous suivent tout au long de l’histoire.
Un réalisme suffocant
Le film s’ouvre sur l’audience pour la convention de divorce entre Miriam et Antoine. Ils ne parlent pas, les avocates s’en chargent à leur place face à un plan fixe dont l’issue va déterminer «la nouvelle vie» de Julien. En l’espace d’une scène, les personnages nous sont présentés à travers les voix de celles qui les défendent et la juge a la lourde tâche de décider du sort d’une famille et surtout du jeune garçon. Dès ce moment-là, on se demande: comment peut-on juger un individu et sa vie dans une séance de quelques minutes? En effet, le réalisateur fait un coup de maître en laissant le spectateur face à l’ambiguïté des personnages dont le passé est inconnu et l’avenir incertain. De cette façon, il est aisé d’imaginer plusieurs scénarios et plusieurs personnalités à ces personnages.
L’atmosphère générale est pesante et très souvent à huis clos. Les scènes sont parfois longues, mais significatives pour la compréhension de l’état d’esprit des protagonistes. Le film est tourné de manière à ce que les événements aient l’air réalistes grâce aux nombreux plans fixes focalisés sur les visages et les émotions des personnages. Aucune bande son n’accompagne les scènes, ce qui donne presque une dimension documentaire à la réalisation. Puis, il y a les dialogues, peu nombreux, mais qui font l’effet d’un coup de tonnerre à chaque fois qu’ils apparaissent. Par la suite, Miriam et Antoine attendent séparément la décision de la juge sur la garde de Julien, personne ne pouvant être vraiment sûr de ce qui va se passer.
Une tension de plus en plus palpable
Au fur et à mesure que le film avance, la personnalité des protagonistes se dévoile et une focalisation se met en place sur Julien. Il porte un poids extrêmement lourd sur ses épaules, car il est le dernier lien qui impose à Antoine et Miriam la confrontation. D’autant plus que Miriam ne veut plus aucun contact avec Antoine; plus elle tente de le fuir, plus il se fait imposant et insistant. Julien est un enfant qui vit dans les gravats du monde adulte, il a une pression constante de sa situation, que ce soit chez lui ou dehors. Progressivement, le monde de la famille Besson devient étouffant et le spectateur redoute à chaque fois le moment où les masques vont tomber. Leur passé continue d’être inconnu, mais on comprend très vite que le présent parvient parfaitement à déterminer leurs caractères et à dévoiler leurs vrais visages.
Jusqu’à la garde est donc un film coup de poing qui s’immisce dans l’espace privé que tout le monde côtoie, mais que personne ne peut réellement connaître. Xavier Legrand nous montre que la famille et le foyer n’ont pas toujours ce rôle de bien-être qu’on aimerait qu’ils aient. Ils sont parfois un nid de brutalité qui empêche tout sentiment de sécurité et engendre l’envie d’être partout ailleurs que chez soi.
Ecrire à l’auteur: marina.detoro@bluewin.ch
Crédit photo: © Agora Films