Regard sur l’actualité – Hélène Lavoyer
Cette semaine, un évènement tout suisse a su ne pas être éclipsé par les tristes nouvelles de Barcelone et les aventures trumpiennes: l’annonce du début des steaks… de grillons, vers et criquets. «Dégueu!».
Lors des grillades, végétariens et omnivores ont épicé le débat. D’un côté, il y a les «pro», de l’autre, les répugnés. On comprend bien que les vers, qu’on évite et qui sont plutôt gage de pourriture, dégoûtent. Les criquets et les grillons, leur place est dans un champ.
Tant d’informations circulent à propos des aliments à base d’insectes ou de vers qu’il est difficile de savoir quelque chose à propos de cette alimentation appelée «entomophagie». On croit qu’ils contiennent plus de protéines pour une quantité égale de nourriture, que les vers sauveront le monde de la famine ou encore que certaines préoccupations économiques et environnementales seraient allégées d’un poids grâce à ces bestioles dégoûtantes. Ces informations, convaincantes, sont-elles vraies? Deux milliards de personnes en ont fait la base de leur alimentation. Peuvent-elles se tromper?
La solution qu’on attendait?
L’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization) a rendu public un dossier dans lequel il est question non seulement des avantages de manger des insectes, mais également des raisons pour lesquelles cela semble être «la» solution.
Par exemple, la consommation de viande et de poisson – sources principales de protéines pour beaucoup de personnes – n’a cessé de croître au cours des dernières décennies, à tel point que la question se pose aujourd’hui: comment répondre à cette demande? De plus, le coût environnemental de ces types de production est gigantesque. La FAO a placé les insectes dans la liste des aliments qui pourraient bien aider à annihiler ces problèmes, parmi pois, algues, champignons et même viande «in vitro».
Une première européenne
Pourtant, la révolution alimentaire, qui tente de se mettre en marche, peine (oui, parce que «c’est dégueu») à se créer un bon public. La Suisse est donc le premier pays européen à rendre accessible au public de pareilles idées, et malgré l’autorisation de vente reçue en mai 2017, ce n’est que pour le 21 août que Coop s’est décidé. L’entreprise Migros n’a quant à elle pas encore exploité concrètement la filière. Normal, quand on regarde les sondages de la Haute école spécialisée bernoise (BFH), dans lesquels moins de 10% des Suisses se disent prêts à essayer, bien que 32% ne soient «pas fondamentalement opposés» à y goûter.
Heureusement, puisque, des insectes, nous en avons tous mangé au moins indirectement. Voyez si vos aliments contiennent l’additif alimentaire E120. Discret, mais bien présent – par exemple dans le Campari, certains yaourts, M&M’s – ce colorant est fait grâce à la cochenille, un arthropode originaire d’Amérique du Sud. Certaines sources rapportent qu’il est toutefois possible de recréer la couleur issue de la dactylopius coccus chimiquement.
La santé avant tout
Tout répugnants qu’ils soient, les insectes s’avèrent effectivement emplis de nutriments indispensables pour l’être humain; leur taux de protéines et de minéraux est élevé, et certaines espèces sont une bonne source de graisses saines. Nos créatures détestées contiennent également fer et zinc en quantités intéressantes.
Et lorsqu’il est question de santé, c’est aussi d’hygiène qu’il faut parler. Si l’élevage intensif comme pratiqué de nos jours présente des risques de zoonoses – des infections transmises d’animal à humain, comme la grippe aviaire, la maladie de Lyme et même Ebola –, ils sont plus faibles dans les élevages d’insectes. La plus grande attention doit être portée au nettoyage de l’environnement dans lequel l’élevage évolue. Il s’agit par exemple de mettre en place des cages à trous, par lesquels passent les déjections animales afin qu’ils ne s’en nourrissent pas, et de vider, désinfecter, replacer le bac où elles se sont déposées. Les aliments doivent également attirer l’oeil attentif de l’éleveur: pas question de laisser pourrir quoi que ce soit.
Une réponse aux préoccupations environnementales
Vient ce nombre: huit kilos. C’est la quantité de nourriture nécessaire à la production d’un seul kilo de viande bovine, alors que seuls deux kilos sont nécessaires pour récolter un kilo de viande d’insecte. En fait, les insectes sont les «enfants parfaits» du monde animal, car ils raffolent de presque n’importe quel aliment. Adieu fourrages, compléments, cultures de soja et graminées! Les bestioles se satisfont de déchets organiques.
Bilan positif également en matière de consommation d’eau et d’émissions de gaz à effet de serre. Les chiffres deviennent fulgurants à ce sujet: là où il faut au minimum 13’500 litres d’eau pour produire un kilo de viande bovine (le nombre tenant compte de l’eau utilisée pour produire la nourriture de l’animal ainsi que sa propre consommation), seuls quelques-uns (entre un et huit, selon les sources) offriront un bifteck d’insecte de même poids.
Le «mais» que l’on évite de dire
Chanter la gloire des insectes, oui, sans oublier pour autant qu’ils présentent de réels risques pour l’homme. Tout d’abord et comme pour n’importe quelle denrée alimentaire, il y a des risques sanitaires qui se doivent d’être connus, qu’il est indispensable de savoir contrôler par une mise en place de règles strictes. Les principaux dangers de l’élevage d’insectes et de vers sont phyisques (c’est-à-dire que certaines parties des petites bêtes pourraient être mal digérées voire «cassées», comme le dard ou la rostre), chimiques bien sûr, par les pesticides ou polluants organiques qui pourraient contaminer la culture ou encore aux conditions d’élevage et de production (empaquetage, période de vie de l’aliment). Les adeptes entomophages devront également donner une attention particulière aux allergènes communs de l’ensemble des espèces arthropodes tels que mollusques, crustacés ou acariens.
Dans le climat d’urgence régnant depuis des décennies à propos de l’environnement, quantité d’initiatives ont été possibles. L’entomophagie est l’une d’entre elles, et la question mérite d’être traitée avec soin, le plus loin possible des conventions, redoutables barrières au changement. Peut-être la Suisse aura été pour cette fois le précurseur d’un nouveau régime, et il est certain que le petit pays aura posé la question nécessaire d’une possible ouverture d’esprit… et d’estomac.
Ecrire à l’auteure: lavoyer.helene@gmail.com
Crédit photo: © bril.brussels.be
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