Les mercredis du cinéma – Loris S. Musumeci
«Ce n’est pas le cancer qui tue, c’est la peur.»
Comment dire adieu à une personne qui est sur le point de prendre la route pour une destination dont elle ne reviendra jamais? Comment dire adieu à sa grand-mère à qui on a diagnostiqué un cancer en phase terminale, et qui se croit malgré tout en parfaite santé? L’Adieu (The Farewell) raconte les adieux de toute une famille à sa matriache, entre les rires et les larmes.
Billi est née en Chine, mais vit depuis l’enfance avec ses parents aux Etats-Unis. Belle, libre et rebelle, elle n’échange pas énormément avec son père et sa mère, qui ont pleinement épousé the american way of life depuis leur immigration: ils se sont embourgeoisés. C’est à Nai Nai, sa grand-mère, qu’elle se confie. Par téléphone, bien sûr, puisque mamie habite dans leur terre d’origine, à Changchun.
Cancer des poumons, phase quatre. «Les médecins lui donnent trois mois, ou peut-être moins.» Nouvelle-choc qui vient bouleverser Billi et ses parents. Comme le veulent les us chinois, Nai Nai reçoit entre ses mains des résultats truqués par ses proches, pour éviter qu’elle ne meure de souci et de tristesse avant même d’être emportée par la maladie. Une réunion de famille s’impose. Pour prononcer L’Adieu. On prétexte alors le mariage du cousin de Billi, vivant au Japon. Du Japon, des Etats-Unis, les fils de Nai Nai se déplacent avec leur famille respective pour laisser le soin à leur mère d’organiser un bon mariage à la chinoise pour son petit-fils. Avec tout le kitsch et la tradition qui siéent à l’événement.
Made in China
Lulu Wang a réalisé un film complet: elle raconte à travers un cas particulier, son expérience personnelle d’ailleurs, des faits universels. L’amour et le sens du mariage, la mort et ses «préparatifs». La Chine aussi, dans toute sa nuance. Made in China égal kitsch, on est d’accord. On est d’accord aussi sur le fait que l’Empire du Milieu, c’est l’empire des traditions, du culte aux ancêtres, du mariage codifié au millimètre. Pas besoin d’être expert en sino-je-ne-sais-quoi, d’avoir écrit une thèse ou d’y avoir vécu pour le savoir. Tous ceux qui ont vu le dessin animé Disney Mulan connaissent l’affaire, et de près!
La Chine, c’est des chaînes de montagnes colossales et de vastes plateaux, des mégapoles et des rizières, un climat glacial et un climat tropical, l’uniformisation et la diversité, du communisme social et du libéralisme économique, des yuan et des US dollars, Mao Tsé-toung et Confucius, l’ordre et le chaos. Toutes ces oppositions apparentes qui font l’identité chinoise se retrouvent dans L’Adieu, à travers ses plans, une discussion familiale assez animée et une journée de préparation du fameux mariage.
Un mariage en bling-bling
La scène en question est hilarante et mise en scène avec un vrai talent. Alors que les futurs époux passent de pièce en pièce dans un studio spécialisé pour se faire faire des photographies soi-disant romantiques, Nai Nai et Billi, qui les accompagnent, dissertent sur l’amour, le sens de la fête du mariage, la femme et son indépendance, le destin d’une vie. La dynamique de cette scène est exceptionnelle. Le spectateur est happé par la furtivité de la grand-mère qui, malgré l’âge avancé et la maladie, dirige le jeune couple décidément mal à l’aise, étouffé par le bling-bling, tout en plaisantant et en enseignant la vie à sa petite-fille bien aimée. La discussion entre les deux femmes se situe au premier plan alors que le sujet principal de la scène se retrouve au second plan.
Sans trop en faire, le regard du film, à travers celui d’une Billi qui découvre en fait son pays natal, interroge la question sociale chinoise. D’une part, il y a deux plans brefs mais puissants de la prostitution dans un hôtel qui donnent matière à réflexion sur la division entre riches et pauvres et sur la nature humaine dans ses désirs de puissance et de jouissance. D’autre part, la caméra insiste, lors de plusieurs scènes, sur le paysage urbain de Changchun, en fixant des lignées et des lignées de blocs semblables. Ces plans s’intègrent parfaitement dans la recherche esthétique qu’engage Lulu Wang en prenant soin de la photographie pour parler de ses sujets surtout par les images.
Autre élément important de la photographie: les plans des personnages filmés de côté. Ceux-ci peuvent passer inaperçus, mais leur rôle est primordial. Ils révèlent la solitude nécessaire à la pensée pour faire le point. Chaque avancée décisive des personnages apparaît sous cette forme du plan de côté. En effet, lorsqu’une caméra filme quelqu’un de côté, le spectateur est témoin de ce qu’il ne peut pas voir hors-champ. Il voit ce que le personnage en question pense, le regard ailleurs, perdu, mais décidé à avancer. La photographie du long-métrage est donc très maîtrisée, voire trop. La forme, dont la beauté n’est pas remise en question, manque peut-être de discrétion. On sent trop la réalisatrice derrière le viseur en train de s’imaginer ce qu’elle peut exprimer à travers l’image.
Une expérience gastronomique
Toujours au niveau de la forme, la musique accompagne toute la trame de son intervention par des voix en chœur et des violons. Mélancoliques, ils créent l’équilibre entre la comédie et le drame en servant de contrepoids au côté burlesque des répliques enjouées. Même si l’on est emporté par ces mélodies, on ne peut pas s’empêcher d’y sentir un léger excès virant à la composition tire-larmes.
Une fois n’est pas coutume, deux autre sens traversent l’écran. Le goût et l’odorat. La nourriture est très présente, des plats les plus quotidiens aux tables plus festives en passant par l’alcool et ses joies. Les aliments sont filmés de telle manière à ce qu’on sent véritablement le parfum fort et délicat de la cuisine chinoise cependant que les viandes à la sauce aigre-douce croustillent sous nos dents. L’Adieu, c’est aussi une expérience gastronomique. Impression qui est sans doute due en partie à mon amour pour la cuisine asiatique. J’avais ressenti le même appétit à la lecture d’Hiver à Sokcho d’une Elisa Shua Dusapin nous détaillant la consistance et les émanations de la cuisine coréenne.
Tendre la main vers le ciel
Dans L’Adieu toutes les expériences et les questions offrent un moment agréable à passer dans les salles, pour apprendre, découvrir, s’amuser, s’émouvoir. Même si le film demeure un peu limité tout en tirant à la longue certaines scènes de façon inutile et en essayant de tirer des larmes parfois maladroitement, il permet le genre d’explorations qui constituent la valeur du septième art, dans sa forme plutôt légère, accessible et divertissante.
Tout un parcours qui revient enfin à la question principale: comment dire adieu à un proche qui va mourir? Mais surtout, comment te dire adieu? Comment le je, dans l’existence propre et réelle de chacun, peut-il saluer un tu, tout aussi réel? Douloureuse question à la laquelle la raison ne répond pas. Au cœur de parler et de tendre la main vers le ciel, pour s’en remettre à ce qui nous dépasse, pour que l’autre continue de nous voir. Au loin.
Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com
Crédit photo: © Ascot Elite Entertainment