Les mercredis du cinéma – Loris S. Musumeci
«Hélas, Chloé, il n’y a pas de monstres, il n’y a que des êtres humains, comme toi, moi et Paul.»
La monstruosité, Chloé – interprétée par Marine Vacth, sexe symbole de Jeune et jolie – la connaît dans ses atroces maux de ventre. Elle a suivi une multitude de régimes, elle a même arrêté le gluten, mais rien n’y fait. Vagin en observation sur gros plan à l’écran. «Je crois que c’est surtout psychologique, dans votre tête», estime sa gynécologue. Elle l’envoie donc chez un psychanalyste, Paul Meyer – Jérémie Renier, une partie de lui en tout cas.
La thérapie procède doucement, dans la bienveillance et dans l’écoute. Trop de bienveillance, qui finit par unir sous Aphrodite docteur et patiente. Heureusement, Chloé la perturbée va mieux. Ses douleurs ont brûlé sous le feu de l’amour. Elle emménage chez Paul, et retrouve même un travail, en tant que gardienne dans un musée d’art contemporain. Le couple traduit la joie de la relation apaisante dans d’incessantes copulations effrénées. Paul en arrive jusqu’à demander Chloé en mariage! Emoustillée de tant d’affection, elle accepte. Et la cassure profonde lorsque celle-ci sort du musée où elle travaille et aperçoit son compagnon avec une autre. Ce dernier nie. «Ce n’était pas moi.»
La jeune femme veut en avoir le cœur net et, suite à quelques recherches intrusives dans les affaires de son futur mari, elle découvre qu’il a un jumeau. Psychanalyste, lui aussi. Elle a besoin de savoir, connaître et comprendre. C’est le rendez-vous, en secret. Surprise confirmée: Louis Delord – l’autre partie de Jérémie Renier – est on ne peut plus identique à son jumeau. Mais moins fin, plus incisif. «Nous verrons la prochaine fois si vous êtes une personne intéressante, ou une petite conne.» Délicat, n’est-ce pas? Et pourtant, Chloé jouit face à une telle agressivité dans l’apparence de l’homme tendre qu’elle aime. Elle doit cependant découvrir pourquoi ces deux frères s’ignorent totalement. Mystère des profondeurs familiales.
Critique divisée
L’Amant double a bénéficié de deux types de critiques à Cannes; les uns adorent, les autres détestent. François Ozon, le réalisateur, ne fera décidément jamais l’unanimité. Il reste quand même une position plus nuancée, voire schizophrène, face au «thriller psycho-sexuel»: l’admiration et le dégoût tout à la fois. Luisant d’énigme et sale de fornications poussées à l’extrême. A en croire Yann Moix, c’est plutôt bon signe. En admiration mais perturbé par l’histoire de Chloé, Paul et Louis, à ONPC («On n’est pas couché», sur France 2) spécial Cannes du 27 mai dernier, il disait: «Peut-être que la définition d’un classique, c’est un film qui nous a dérangés au moment où il est sorti.»
Un classique en puissance? Pourquoi pas. Dans tous les cas, le nouvel Ozon compte quelques défauts bien lourdauds. Son côté pathétique, notamment. Entre les répliques comme «Quand vous me regardez comme ça, je me dis que j’existe» qui veulent se donner des airs philosophiques, ou des «Tu m’en veux?» jusqu’aux «Je t’aime mon amour» dignes des pires séries à l’eau de rose. Et encore, quelle originalité que de voir un psy s’énamourer de sa patiente ultra-canon!
Puis, il y a le côté très arrogant qui dérange: le pauvre petit monde parisien a une vie très stressante et intense, alors forcément, il se frotte à davantage de questionnements existentiels poussant à la dépression. Un peu suffisant, le contexte huppé de la capitale stylée grand genre. L’attitude des acteurs dans la même émission d’ONPC spécial Cannes ne redore pas cet aspect du film. Tout particulièrement celle de Jérémie Renier, qui commente, jambes croisées, son propre talent exceptionnel pour jouer deux rôles dans une seule histoire.
Enigme du double
Blâmes à part, tout cinéphile tombe inévitablement sous le charme de la photographie – après celui de Marine Vacth! Tout est double dans la mise en scène: reflets de la Seine, d’un miroir, d’un regard, des tableaux exposés au musée d’art. Le décor du cabinet de l’un des jumeaux à l’autre, semblable et différent. Tout se déroule en parallèle, jusque dans le scénario où d’inquiétantes répétitions agrippent le spectateur en recherche à son siège. Il y a effectivement une réelle quête de vérité qui semble tantôt acquise, tantôt à des années-lumière. Le film est ludique, dans la mesure où il pousse à la construction d’un puzzle qui restera inachevé. C’est un vrai coup de génie.
Quant à la thématique, où gémellité, sang et révélation du passé déchirent le drap d’une généalogie qui se prétendrait sans lien au présent, c’est du Mouawad converti au cinéma. On se croirait, par moments, dans la tétralogie tragique du Sang des Promesses. Et là aussi, les avis se divisent entre un style repoussant car trop complexe, mais envoûtant par sa trame hautement littéraire. Il fallait s’y attendre: L’Amant double mérite ses divergences.
«Certaines personnes découvrent, quand elles sont adultes, qu’elles portent en elles le fœtus de leur frère. Des jumeaux cannibales.»
Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com
Crédit photo: © Mars Films