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Films

Critique

Les affranchis chez les Osages6 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
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«Killers of the Flower Moon», le nouveau Martin Scorsese © 2023 Paramount Pictures. All Rights Reserved.

Le précédent film de l’immense Scorcese, The Irishman, n’était pas sorti en salles. Sa nouvelle réalisation, adaptée du livre La Note américaine racontant un volet terrible de l’histoire des Etats-Unis, peut, elle, être contemplée sur grand écran. Et quelle grâce!

Le souffle est coupé. Un mort, deux morts, trois morts, et le sang des Osages va encore jaillir en abondance dans les années 1920. L’or noir jaillit lui aussi des terres appartenant à cette tribu amérindienne vivant en Oklahoma. C’est justement le pétrole qui est à la source de ces décès, dont les enquêtes sont soit corrompues, soit bâclées. Dès lors que ce peuple trouve le pétrole, il s’enrichit considérablement. Bénédiction et malédiction. Bénédiction, car l’argent coule à flots, et les Osages peuvent s’offrir les maisons les plus cossues, les vêtements les plus chics et les voitures les plus luxueuses, et même des domestiques blancs à leur service. Malédiction, car certains embrassent un mode de vie d’excès qui leur nuit particulièrement, entre l’alcool qui les conduit à la dépression et la débauche, et les gâteries qui les rendent gravement diabétiques.

Malédiction surtout, et c’est le grand sujet du film, parce que des Blancs se mettent à leur service d’une façon particulière… Soit ils épousent des femmes osages pour vivre dans l’opulence sans réellement travailler, soit ils s’improvisent en tuteurs pour s’enrichir de commissions tout en les «aidant» à gérer leur argent. Et quand un Osage meurt, c’est au Blanc, époux ou tuteur, que reviennent les héritages et les dividendes…

Robert De Niro dans «Killers of the Flower Moon» (2023, Martin Scorsese)
Robert De Niro dans «Killers of the Flower Moon» (2023, Martin Scorsese) © 2023 Paramount Pictures. All RightsReserved

Ernest Burkhart (Leonardo DiCaprio) fait partie de la première catégorie en épousant Mollie (Lily Gladstone), une riche héritière osage. L’oncle d’Ernest, William Hale (Robert De Niro), fait partie de la seconde catégorie. Ce dernier vit confortablement à la tête d’une pègre qui manipule les Osages en se liant d’amitié avec eux et se faisant de l’argent sur leur dos. Mais les meurtres commencent à se faire trop nombreux dans le comté, et les Amérindiens exigent leur élucidation. Le BOI, ancien nom du Federal Bureau of Investigation (FBI), enquête sur place, et complique les affaires du jeune Ernest, de tonton William et consorts.

Un style à perpétuer

Martin Scorsese a embrassé quasiment tous les genres à travers sa filmographie phénoménale. Il s’est plongé dans des ambiances et des histoires aussi diverses que variées – comme la mafia italo-américaine – dans une grande partie de ses films. Le milieu de la finance a également servi de terrain à l’artiste dans Le Loup de Wall Street, un centre psychiatrique dans Shutter Island, les évangiles revisités dans La Dernière Tentation du Christ ou l’évangélisation du Japon par les jésuites au XVIIe siècle dans Silence. Il manquait encore le western au réalisateur octogénaire, et pas comme genre. Avec Killers, on est bien dans une ambiance de western, mais de façon originale. Encore une fois, Scorsese innove.

Dans cette Amérique où s’affrontent bons, brutes et truands, où l’on danse avec les loups, où les trains sifflent trois fois et où l’on est prêt aux plus abjectes manigances pour quelques dollars de plus, Scorsese vient y mêler le film de pègre et un bon sens de l’humour. La simple présence de Robert De Niro, mafieux dans Mean Streets, Les Affranchis, Casino et The Irishman, annonce la couleur. Par son interprétation de l’oncle William dans Killers, il prend les mêmes attitudes de grand boss. Il incarne le mafieux typique qui garde son calme en toute circonstance, qui pense à son business, sans lésiner sur la transmission des valeurs en famille, notamment lorsque dans une scène mythique le personnage De Niro inflige de violentes fessées au personnage campé par DiCaprio pour lui inculquer les valeurs familiales. Autant le dire, Scorsese perpétue un vrai style en emmenant ses affranchis chez les Osages.

Une cause à défendre

Au-delà de l’apparente légèreté du film, avec son humour et son cynisme, la réalisation de Scorsese ambitionne beaucoup plus, comme à chaque fois du reste. Le projet de Killers of the Flower Moon est artistique et même poétique. L’art se déploie à travers une photographie qui prend soin du détail au grain. On peut ainsi être ému face à la beauté des paysages verdoyants où courent bœufs et chevaux, mais de façon plus surprenante la beauté éclate aussi à travers les paysages pétroliers: des chevalets de pompages aux gisements naturels, surtout dans une séquence magnifique où les Osages dansent sous cette pluie noire qui les comble.

La poésie investit quant à elle le scénario, confié à Eric Roth, maître en la matière, qui avait notamment écrit celui de Forrest Gump. Celui-là sait en effet laisser les répliques comiques de côté pour un temps afin de plonger le récit dans le tragique, composé de silences ou de phrases courtes. Le scénario fait la part belle aux Amérindiens en leur attribuant, sans caricature, des perles telles que cette plainte bouleversante de Mollie: «Je ferme mon cœur pour y garder le bien, mais je sens que la haine arrive.»

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Comme si Scorsese lui-même prenait la parole pour nous raconter le drame des Osages, il délivre un message grand public sur la nécessité de faire mémoire aussi des pages sombres de l’histoire. Dans ce film, qui est un grand spectacle de 3h26, Scorsese invite à poser un regard sur la considération alors portée à ces Osages, qui n’étaient, au fond, aux yeux de beaucoup, pas vraiment des hommes. C’est en connaissant son passé, en rendant hommage aux morts et en faisant la lumière sur la cause des crimes d’autrefois que l’on peut entrevoir un avenir plus paisible. Enfin, comme tout grand film, Killers of the Flower Moon invite le spectateur à se pencher à travers l’histoire sur sa propre histoire: quand ai-je été moi-même ce corrupteur des faibles? quand ai-je été ce nouveau riche prodigue? quand ai-je été cette jeune Osage qui s’est levée contre l’injustice et pour la vérité?

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