Les mercredis du cinéma – Jonas Follonier
Bouleversant. Tel est l’adjectif sans doute le plus adapté à ce drame tiré d’une histoire vraie. Lion raconte le destin incroyable du jeune indien Saroo, cinq ans, qui se retrouve enfermé dans un train après avoir perdu de vue son frère Guddu. Les portes du wagon ne s’ouvriront que 1500 kilomètres plus tard, à Calcutta. Après des jours d’errance, le jeune garçon est intégré à un orphelinat avant d’être adopté par un couple d’Australiens.
Vingt ans plus tard, Saroo traverse une crise existentielle et cherche à retrouver son village natal avec l’aide du logiciel Google Earth et des quelques souvenirs qui lui restent de cette fameuse nuit où tout a basculé. Cela fait trop longtemps qu’il est rongé par le désir de retrouver sa mère et son frère biologiques. De tout son coeur, il veut que sa première famille sache qu’il va bien, même après toutes ces années.
La première partie du film, présentant au spectateur l’histoire hallucinante du petit garçon depuis le soir où il a été séparé de son frère jusqu’au jour où il va rencontrer ses parents adoptifs, constitue un chef d’oeuvre à elle toute seule. Les lumières sombres, l’omniprésence de la ferraille, les bruits inquiétants du train, tout est traité sous le regard de l’enfant. Le spectateur se retrouve dans un véritable cauchemar, extrêmement bien mis en scène, où le wagon se transforme en prison; les hommes en monstres; et le temps, et la faim, et la soif, en supplices.
Cette esthétique de la peur est sublimée par le charme décapant du jeune Saroo, interprété par Sunny Pawar. Le petit garçon, craquant, est doué d’une expressivité folle. La bande originale composée par Hauschka et Dustin O’ Halloran, tout en pianos et en violons, s’inscrit dans une démarche classique et dramatique, mais pas tire-larmes. Elle accompagne avec brio les rues dangereuses de la métropole indienne, le sort des orphelins, les émotions du protagoniste.
La seconde partie, elle, abaisse un peu le niveau du film. Autant la tristesse surjouée de la mère adoptive (Nicole Kidman) que les fautes de rythme donnent au film biographique un goût de reconstitution bêtement réaliste. On passe d’une oeuvre cinématographique raffinée à une simple adaptation du roman Je voulais retrouver ma mère, écrit par le vrai Saroo Brierley. Saroo adulte est très bien incarné par l’acteur Dev Patel, qui s’était fait connaître dans Slumdog Millionaire, mais cela ne suffit pas. Garth Davis a choisi une rupture trop forte entre les deux moments du long-métrage: la réalisation demanderait à gagner en cohérence.
Malgré ses défauts, Lion reste un très bon drame américain. Sa nomination dans six catégories différentes des Oscars (dont celle du meilleur film) est méritée. Devant l’écran, nul ne peut être indifférent à tous ces petits Indiens qui attendent un père et une mère. Nul ne peut retenir son émotion face à la destinée tragique d’un homme, enracinée dans la géographie indienne. Nul ne peut ignorer cette quête si brûlante aujourd’hui qui est celle de l’identité. «En réalité», avoue Saroo à ses amis, «je ne suis pas de Calcutta; je suis perdu.»
Plus généralement, le premier long-métrage de Garth Davis porte en lui la beauté de l’amour. Ce sentiment peut être l’affection de parents adoptifs, l’attente et l’espoir d’une mère biologique ayant perdu son enfant, ou encore la passion de deux jeunes adultes (Rooney Mara offre un jeu parfait dans le rôle de la magnifique Lucy, la petite-amie de Saroo en Australie). Mais aussi, et surtout, il peut être la haute et noble émotion qui relie deux frères. L’amour du petit lion pour son grand fauve. Dans son essence, Lion est une ode à la fraternité.
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