Vous êtes sur smartphone ?

Téléchargez l'application Le Regard Libre depuis le PlayStore ou l'AppStore et bénéficiez de notre application sur votre smartphone ou tablette.

Télécharger →
Non merci
Accueil » «American Beauty», quand l’amour n’a point d’âge

«American Beauty», quand l’amour n’a point d’âge8 minutes de lecture

par Loris S. Musumeci
0 commentaire

Les mercredis du cinéma – Edition spéciale: L’amour au cinéma – Loris S. Musumeci

«L’amour n’a point d’âge, il est toujours naissant.» Blaise Pascal

Sam Mendes a commencé fort. En plus du récent 1917 (2020) ou les James Bond Skyfall (2012) et Spectre (2015), il a réalisé quelques autres films, tous très bons, notamment Les Noces Rebelles (2008) avec le duo titanesque DiCaprio Winslet. Mais son premier long-métrage reste le meilleur à ce jour. L’année 1999 a vu naître un réalisateur de génie et un film génial en même temps. American Beauty a d’ailleurs reçu l’ovation qu’il méritait en remportant, entre autres nombreux prix, plusieurs Oscars, dont celui du meilleur film et celui du meilleur réalisateur.  

Et pourtant le film raconte l’histoire la plus banale de la famille américaine moyenne la plus banale aussi. A cette exception près que le personnage principal et narrateur annonce en voix off que dans moins d’un an, il sera mort. Ce personnage principal, c’est Lester (Kevin Spacey), le père de famille qui se présente, toujours par la voix off au début du film, tel que ses proches le considèrent: «Ma femme et ma fille me considèrent comme un lamentable perdant.»

A lire aussi: Uncut Gems: un loser au sourire de winner

Du lamentable perdant, méprisé par sa famille et par son patron au journal où il travaille depuis quatorze ans comme pigiste, Lester décide de devenir un winner. Halte à la soumission! Halte à la petite vie de merde, avec une famille de merde, avec un patron de merde, dans une petite maison de merde, dans un quartier de merde, avec des voisins de merde. Lester veut s’imposer face à sa femme Carolyn (Annette Bening), tout en tâchant de retrouver la jeune fille qu’il aimait en elle, et veut enfin un peu de respect de la part de sa fille Jane (Thora Birch), avec laquelle il essaie simultanément de renouer un lien d’amitié.

En somme, Lester veut enfin commencer à vivre. Libre, heureux, insouciant et beau gosse. Tout ça, parce qu’il est tombé amoureux d’une adolescente de rêve, Angela (Mena Suvari). Problème numéro un: Angela est la meilleure amie de Jane, ce qui est plutôt gênant. Problème numéro deux: les deux jeunes filles se sont rendu compte de la passion amoureuse de Lester – Angela, flattée, en joue; Jane, elle, a tellement honte qu’elle voudrait voir son père mort. Problème numéro trois: une série de quiproquos qui vont faire que «dans moins d’un an», Lester sera mort. Assassiné.

Une tragédie comique

American Beauty a beau raconter le destin tragique d’un Américain moyen, il n’en renonce pas moins à l’humour. A noter d’ailleurs que le film se situe surtout entre le film d’auteur, pour sa richesse du point de vue du travail artistique de l’image et dans sa symbolique, et la comédie, par le changement d’un Lester qui se réveille d’un long sommeil d’esclavage. La source du comique chez Lester réside en premier lieu dans l’identification qu’il permet au spectateur. En fin de compte, le père de famille, plutôt silencieux, plutôt soumis, plutôt méprisé, se retrouve dans le Lester carrément loser du début du film. Et il rêverait ensuite d’oser se révolter comme lui. Quelle jouissance, qui pour le coup provoque un rire franc, de voir Lester balancer avec violence le plats d’asperges contre le mur de la salle à manger pour que sa femme et sa fille l’écoutent enfin. Ou de le voir jouer dans son salon avec une voiture télécommandée sous les furies de sa femme. Lester est comique dans la mesure où il incarne le rêve de révolte de tant d’hommes.

Deuxième source du comique: l’évidente satire sociale. American Beauty ne dénonce pas, mais expose avec une certaine légèreté – qui ne manque pourtant pas de puissance – toute l’hypocrisie de petite vie de famille bien rangée et du mariage heureux et harmonieux. La séquence la plus hilarante du film joue en effet complètement sur la satire. Carolyn oblige son mari à l’accompagner à une soirée d’affaire pour les agents immobiliers dont elle est. Quand le couple se retrouve à pouvoir saluer Buddy, le roi de l’immobilier, qui deviendra dès le lendemain l’amant de Carolyn, elle a honte de son mari; en voyant sa honte, il en rajoute.

«– Carolyn: Oh Buddy! Quel plaisir de vous voir! Je vous présente mon mari, Lester.
– Buddy: Enchanté!
– Lester: Nous nous sommes déjà rencontrés l’année dernière.
– Buddy: Navré, je ne me souviens pas.
– Lester: Oh, ça ne fait rien. Moi non plus je ne me souviendrais pas de moi.
– Carolyn: Oh chéri! Ne fais pas l’imbécile. (Rire nerveux)
–Lester: Très bien, mon amour. Je ne ferai pas l’imbécile. Je ferai absolument tout ce que tu voudras, comme un gentil mari.
(Lester attrape la tête de sa femme, l’embrasse langoureusement, sous le regard gêné de Buddy et des autres personnes présentes autour d’eux.)
– Lester (avec un sourire démesuré): Nous avons un mariage sain et harmonieux.»

Troisième source du comique: les quiproquos. Une série de malentendus et de non-dits, qui sont d’ailleurs à la source directe de l’assassinat de Lester. Là, c’est par un travail formel que les scènes en question sont comiques. Notamment celle de la prétendue relation homosexuelle entre Lester et son jeune voisin, qui va à l’école avec sa fille. Alors qu’il est en train de lui rouler un joint, le jeu entre champ et hors-champ, avec ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas à travers les fenêtres, le père du voisin qui les observe croit que son fils est en train de faire une fellation à Lester. Le père du voisin observe par la fenêtre de chez lui ce qui se passe au-delà des fenêtres chez Lester. La scène est d’une grande habileté. Elle paraît en outre un hommage clair et réussi à Fenêtre sur cour (1954) de Hitchcock qui se construit complètement avec son jeu champ hors-champ par un personnage qui voit tout sans tout voir à travers la fenêtre de ses voisins.

Au-delà de l’aspect comique, il y a l’œuvre de cinéma. American Beauty est tout autant une comédie qu’un divertissement, qu’un film à fond philosophique, proposant une réflexion sur la société américaine, qu’un vrai film d’auteur. L’intégration d’images de caméra amateur relève d’une part de l’innovation, d’autre part d’une grande audace. Une audace qui en a valu la peine: la danse du sac plastique sous le regard de la caméra amateur est restée culte. La réflexion, quant à elle, porte entre autres sur la beauté. Qu’est-ce que la vraie beauté d’une personne? Comment la voir vraiment? La réflexion porte aussi sur la vie dans le mode de l’american dream. Qui amène au titre d’American Beauty. C’est la société américaine, et même occidentale, qui est questionnée, dans le rapport qu’elle entretient avec la beauté, particulièrement la beauté des femmes, dans sa manière de vivre esclave de l’idéal d’un rêve américain qui s’est plutôt transformé en cauchemar.

Le rouge qui dit tout

Mais le centre du film, c’est l’amour et ce qu’il provoque. Non pas que le film soit romantique; il se montre même volontiers anti-romantique. L’amour est central dans le sens où il est l’élément déclencheur du film, où il occupe du rôle du grand déserteur entre Lester et Carolyn, où il s’offre en découverte pour Jane, où il trompe et angoisse le personnage d’Angela, dont Lester est amoureux.

Lester retrouve le goût de vivre, et enfin pour de vrai, grâce ou à cause de son coup de foudre pour Angela. Sur le fond, le propos fait sienne la sentence de Blaise Pascal: «L’amour n’a point d’âge, il est toujours naissant.». Lester renaît en effet par la passion qui l’envahit. En renaissant, il revient à la jeunesse; ce n’est pas pour rien qu’il s’est épris d’une adolescente dans la fleur de l’âge. Qui incarne de plus le modèle parfait de la beauté américaine: blonde, mince, jeune, superficielle et surtout pom-pom girl.

Il tombe amoureux d’elle lorsqu’elle danse. A la base, il était venu voir sa fille. Mais la caméra, interne au regard de Lester, se déplace peu à peu de sa fille pour se fixer sur Angela. Plan général des danseuses. Puis Angela. A nouveau Jane pour un instant. Et Angela. Dernier plan général. Et Angela. Angela. Angela. La caméra palpite au rythme du cœur de Lester. Il n’y a plus qu’Angela. Intervient alors fil rouge du film: le phantasme.

Sous des airs oniriques, la séquence montre en alternance Angela, qui est seule sur la piste de danse, et Lester, seul dans le publique. Il sue d’excitation. Les gestes de la danseuse se font de plus en plus sensuels, et au moment où elle est sur le point de dévoiler ses jolis petits seins fermes, des pétales de rose envahissent le plan. Le phantasme est donc le fil rouge du film, l’amour qui bat en Lester lui remplit les yeux de pétales de rose rouge, et des pétales de rose en résultera le sang, toujours rouge, sur un mur. La couleur rouge parle d’elle-même. Lester s’achète aussi la voiture de ses rêves durant sa phase de crise. Inutile de vous dire sa couleur. Le rouge de l’amour, le rouge de la renaissance, le rouge de la mort, raconte la dernière année de vie exaltante de Lester dans son american dream à lui, avec son american beauty.

Ecrire à l’auteur: loris.musumeci@leregardlibre.com

Crédit photo: © Dream Works SKG

Vous aimerez aussi

Laisser un commentaire

Contact

Notre sélection

© 2024 – Tous droits réservés. Site internet développé par Novadev Sàrl